Morris G. Dumoulin, un vieux de la vieille toujours vert…et noir

Critique de le 11 juin 2009

Je n‘ai pas aimé...Plutôt déçu...Intéressant...Très bon livre !A lire absolument ! (52 votes, moyenne: 3,63 / 5)
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Vos textes

Le Landernau de l’édition prétend volontiers que les éditeurs sont des écrivains ratés, d’où les « crottes » qu’ils posent aussi souvent qu’ils le peuvent au pied des mots de leurs auteurs. Au risque de prêter le flanc à cette critique, je ne résiste pas au plaisir de vous livrer l’histoire de la « renaissance » de Peter Warren, dont j’ai publié le premier inédit depuis 1972.
Je devais avoir 13 ou 14 ans — en 1976 ou 1977, donc — lorsque j’ai ouvert pour la première fois un livre de G. Morris-Dumoulin. C’était Avant que ça me reprenne, le huitième ou neuvième volet des aventures de Peter Warren. Pourquoi celui-là ? Parce que son titre reprenait, comme un pied de nez, l’expression favorite de mon grand-père, censée refréner mes pulsions d’adolescent :
— T’inquiète pas, ça te passera avant que ça me reprenne…
Le livre faisait partie des collections remisées sur le rayonnage du haut de la bibliothèque du Saint des saints : le bureau dudit grand-père, justement, assureur de son état et ci-devant gendarme de la République. Autant dire « l’Enfer », puisqu’il s’y trouvait en compagnie, mais oui, de Justine ou les malheurs de la vertu. La bibliothèque de ma chambrette était plus sagement constituée de volumes de la Bibliothèque verte et autres Signes de piste… Fantômette, le Club des cinq ou le Prince Henri commençaient à manquer de sel, de poivre et de moutarde susceptible de me monter au nez.
On se doute que le choc de cette découverte fut encore décuplé par l’odeur de l’interdit et la lecture en catimini, à la lampe-torche, sous les draps. De ces instants-là date mon goût prononcé pour la littérature dite « populaire » en général et pour le polar en particulier. La crudité de ce que je découvrais — dames peu farouches, dangers mortels, répliques épicées… — m’ouvrait un monde où la mièvrerie n’avait plus cours, un monde guère plus réel peut-être, mais délicieusement plus réaliste.
De plus, la langue elle-même changeait du tout au tout. Je ne parle pas seulement de sa verdeur, mais aussi de son exigence. C’est en partie grâce à G. Morris-Dumoulin — et à certains auteurs de sa trempe : Léo Malet, Michel Lebrun, André Héléna, G.J. Arnaud, Jean Amila… —, que j’ai découvert le bouquet d’un subjonctif au milieu d’une fusillade, la subtilité d’un point virgule au moment suprême de l’étreinte… Fleuve Noir, pendant les années cinquante à soixante-dix, avait, vous pouvez le vérifier, une volonté affirmée d’imprimer une langue pointilleuse.

Devenu éditeur, je me suis d’abord imposé — pour de triviales raisons de diffusion — une règle masochiste, et impossible à tenir dans mon cas incurable : « Non, tu ne feras pas de polars, non, tu ne feras pas de polars… », un peu à la manière de ce que René Goscinny fait dire, à propos de leur barde, aux habitants du « dernier village gaulois qui résiste à l’envahisseur ».
Je n’ai pas tenu bien longtemps.
Mais, quand j’ai sauté ce pas, je me suis souvenu de mes premières amours dans ce domaine et je me suis dit que faire (re)découvrir les plumes du « polar à la française » pouvait être une idée à la fois pertinente et conforme à mes ambitions. Je crois en effet que le néopolar de Jean-Patrick Manchette, Frédéric H. Fajardie ou Didier Daeninckx — que j’ai tous dévoré avec délectation — avait fait un peu vite un sort aux grands aînés ; de la même manière que François Truffaut avait poussé Jean Delannoy dans les orties en jetant Papy avec l’eau du bain. Pour ma part, je revois avec autant de plaisir Tirez sur le pianiste et Maigret tend un piège, je relis de même Le petit bleu de la côte ouest et 120, rue de la Gare. Car si certains des auteurs de cette époque avaient en effet pris du plomb dans la reliure — je pense à Antoine-Louis Dominique et sa saga du Gorille, dont un titre fut d’ailleurs adapté par Delannoy —, d’autres en revanche avaient gardé toute leur fraîcheur.
Je ne parle plus ici de nostalgie pour mes émois d’adolescent, mais bien d’univers littéraires construits et, oui, modernes et propres à exciter l’imaginaire d’un nouveau lectorat.
G. Morris-Dumoulin était à mes yeux de ceux-là, et comment !
Seulement voilà, comment accéder au Maître, dont je ne connaissais que le nom de plume ? Et d’ailleurs — qu’il veuille bien me pardonner — était-il vivant, seulement ?
Avril 2007, après le Salon du Livre de Paris pour lequel le deuxième titre de la collection dur à cuire est sorti*, je décroche mon téléphone pour appeler le Fleuve Noir, où je croyais avoir gardé quelques contacts, puisque cette maison a publié l’un de mes polars — j’écris cela en bombant le torse, vous pensez ! Hélas, devenue simple marque d’un grand groupe, l’ancienne maison d’Armand de Caro s’est vidée de sa substance et personne n’y sait plus qui est cet auteur : « Vous pouvez m’épeler, s’il vous plaît ? »
Me restait la solution de joindre l’une des mémoires les plus vives du genre, Claude Mesplède, Toulousain cher au cœur des « polardeux ». Lui saurait, ou m’orienterait, ou ferait jouer le réseau des 813.
Le jour même où je me décide à prendre le temps d’appeler Claude Mesplède — et je jure que je n’invente rien ! —, le facteur pose sur mon bureau un manuscrit. Enveloppe kraft, 187 feuillets dans une chemise verte.
La Gâchette facile, par G. Morris-Dumoulin.
L’auteur prenait la peine de joindre une bibliographie succincte car, écrivait-il, « détailler plus de deux cents romans et près de cent cinquante traductions me coûterait plus cher en timbres que le manuscrit lui-même. » Il avait envie de reprendre ce personnage, trop vite abandonné et, ayant vu Alerte aux plombs sur les tables de notre stand au Salon, s’était dit qu’un éditeur de cette taille — modeste — conviendrait peut-être à la nouvelle vie — ambitieuse — de Peter Warren.
Ce manuscrit, transformé en bouquin, existe désormais dans « toutes les bonnes librairies »… avec d’autres « affaires pour Peter Warren », inédites ou rééditées dans la collection « dur à cuire » aux Éditions l’Arganier. Précipitez-vous !

Nicolas Grondin

Morris G. Dumoulin, un vieux de la vieille toujours vert…et noir

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