Baudelaire, Les Fleurs du Mal

Critique de le 13 août 2008

Je n‘ai pas aimé...Plutôt déçu...Intéressant...Très bon livre !A lire absolument ! (132 votes, moyenne: 3,30 / 5)
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Poésie

baudelaire.jpgEntre Spleen et Idéal, les voies de la modernité

On pourrait s’interroger à l’infini : qu’est-ce qu’un recueil poétique ? On sait ce qu’est un récit, un roman : tous deux présentent un déroulement cohérent…mais un recueil poétique, est une accumulation de textes ? une compilation ? Un ensemble construit au gré des hasards ?

Charles Baudelaire sut en son temps y répondre, d’une façon particulièrement élaborée. Il faut lire Les Fleurs du Mal, pour comprendre que tout se trouve « impeccablement » agencé, il suffit de relire ce recueil pour percevoir que la progression y est conçue selon un ordre poétique qui relève du cheminement exploratoire. On avance ici comme porté par un récit initiatique.

La première partie s’intitule « Spleen et Idéal » mais  pour entrer dans Les Fleurs du Mal, il convient en fait d’inverser l’ordre. Nous partons de l’Idéal pour nous enfoncer dans le Spleen. Où donc le paradis ? On ne sait…mais on en perçoit encore le cadre, les composantes et les éléments. L’homme semble avoir goûté un lieu où la santé s’épanouissait dans l’espace dilaté, la lumière s’y combinait avec la vigueur. En témoigne l’un des premiers textes, Elévation :

Mon esprit, tu me meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Mais les hommes guettent, menacent, leur vulgarité agit toujours en nombre, et L’Albatros sera saisi en plein vol, jeté sur les planches du navire, deviendra gauche et veule.
La chute vers le Spleen est dès lors irréversible, le poète ne peut que s’engluer dans un monde qui l’absorbe avec férocité et gourmandise. Le noir domine, la pourriture gagne tous les lieux et envahit l’intérieur des corps, qui ne sont plus que Charogne(s). L’espace est confiné et l’asphyxie s’installe dans les cerveaux malades.

Que penser de ce mouvement de chute ? Sans doute des facteurs personnels permettent-ils de l’expliquer, mais au-delà de la biographie toute une époque est mise en accusation par cette impossibilité donnée à l’Idéal de se maintenir dans un monde dominé par la bassesse et le matérialisme moral.

L’albatros n’aura de cesse de tenter de décoller de nouveau. La quête du poète traversera ainsi  les tableaux parisiens. Dans une tentative qui donne à la modernité poétique ses bases, Baudelaire tentera de dégager dans la noirceur des villes une part d’Idéal, comme cette passante :

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Mais rien, ni la ville, ni les fleurs du mal, ni le vin et la révolte ne rendront possible un nouvel envol. Le livre se referme donc sur la mort.

Les Fleurs du Mal ont donc été minutieusement agencées. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles Baudelaire fut atterré du jugement prononcé après le réquisitoire du fameux procureur Pinard. Pour répondre aux critères de l’ordre public, il dut retirer des pièces condamnées. Autant dire que l’édifice savamment construit se trouvait jeté bas par la bêtise morale et administrative.

L’essentiel n’en demeure pas moins dans cette traversée du noir, merveilleusement concentrée dans les deux derniers vers :

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’ Inconnu pour trouver du nouveau.

Baudelaire, Les Fleurs du Mal

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