L’ivrogne et la marchande de fleurs. Autopsie d’un meurtre de masse 1937-1938

Critique de le 15 septembre 2020

Je n‘ai pas aimé...Plutôt déçu...Intéressant...Très bon livre !A lire absolument ! (Pas encore d'évaluation)
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Histoire

Dans ce passionnant ouvrage, l’historien du Communisme (Bolchevisme), Nicolas Werth, décortique la monstrueuse machine exterminatrice que fut l’effroyable : Grande Terreur ou « Iejovschina » (du nom de Nikolaï Iejov, Commissaire du peuple à l’Intérieur et chef de la Police Politique Soviétique : le N.K.V.D.). En effet, il s’agit du plus grand massacre perpétré par un Etat contre SON PROPRE PEUPLE, en Europe, en temps de paix, au 20ème siècle !
Depuis l’effondrement de U.R.S.S. en 1991, Nicolas Werth a pu consulter un nombre incalculable d’Archives qui viennent compléter les témoignages et éclairer le déroulement et l’analyse de la Grande Terreur. Pour appuyer son argumentation, l’auteur utilise une partie des ces exceptionnelles et fondamentales Archives.
Notamment, ces Archives permettent de démystifier le « Rapport secret » de Khrouchtchev lors du XXème Congrès du Parti Communiste, en 1956. En effet, après la mort de Staline, le 5 mars 1953, les hauts dirigeants du Parti Communiste ont odieusement voulu tenter de se dédouaner de leur totale implication dans la Grande Terreur (nous le verrons plus loin…), en rejetant toute la responsabilité sur le dos de Staline : la « Déstanilisation », en minimisant la Grande Terreur, en la réduisant à une « simple Purge » à l’intérieur du Parti. Or, les Archives démontrent parfaitement bien que la « Purge » des cadres du Parti Communiste ne représenta, en réalité, qu’une infime partie : 7 % de l’ensemble des arrestations et des exécutions de la Grande Terreur, soit 117 000 membres du Parti arrêtés par le N.K.V.D., 44 000 responsables et cadres Communistes condamnés, dont 85 % à la peine de mort. L’instruction et l’exécution de la sentence de ces « Purges » des élites Communistes s’effectuaient dans un circuit « judiciaire » différent de celui des « opérations de masse » visant les citoyens ordinaires.
De surcroît, les Archives permettent de mettre également en évidence que la Grande Terreur ne fut pas la conséquence de l’assassinat de Sergueï Kirov (contrairement à la thèse développée, entre autres, par Robert Conquest : « La Grande Terreur »), mais qu’en réalité elle fut la continuation et l’aboutissement dans cette impitoyable décennie de 1930, d’un processus d’immenses répressions dans le cadre de la politique du Totalitarisme Communiste Stalinien, dont voici en résumé, le déroulement (pages 48, 49, 50 et 51) :
En 1930-1933, près d’un million de foyers paysans furent expropriés, des centaines de milliers de personnes arrêtées, près de 2,5 millions d’hommes, femmes et enfants déportés, dans le cadre d’une vaste campagne politique lancée, fin 1929, sous le mot d’ordre de « liquidation des koulaks en tant que classe ». Cette campagne avait un double objectif : « extraire », tel était le terme employé dans les instructions confidentielles, les éléments susceptibles d’opposer une résistance à la collectivisation forcée des campagnes et « coloniser » les vastes espaces inhospitaliers de la Sibérie, du Grand Nord, de l’Oural et du Kazakhstan. Le premier objectif répondait à la vision, clairement exprimée par les bolcheviks dès leur arrivée au pouvoir, selon laquelle la société paysanne, traversée d’antagonismes de classe, recélait des « éléments exploiteurs » – les « koulaks » – irrémédiablement hostiles au régime et qu’il fallait éliminer. Le second objectif s’inscrivait, au moment même où était lancé le Premier Plan quinquennal, dans une vaste entreprise de mise en valeur, par une main-d’oeuvre pénale ou déportée, d’un certain nombre de régions vides d’hommes, mais riches en ressources naturelles. Ces objectifs s’appuyaient sur la conviction que le nouvel Etat, parce qu’il était fondé sur la connaissance scientifique et la maîtrise des lois du développement historique des sociétés, était en mesure de modeler celles-ci, d’en exciser les éléments hostiles, parasites ou nuisibles « polluant » la nouvelle société » socialiste en train de s’édifier. (…) Au moment du lancement de la campagne de « liquidation des koulaks en tant que classe », la plus haute instance du Parti, le Politburo, fixa des « quotas de dékoulakisation en 1re et 2e catégorie » (note n° 2 : Directive n°44-21 du 30 janvier 1930, signée de Genrikh Iagoda) – au nombre initialement programmé de 60 000, les « koulaks de 1re catégorie » définie comme des « activistes engagés dans des actions contre-révolutionnaires » devaient être arrêtés et transférés en camp, après un « passage rapide devant une troïka », juridiction d’exception de la police politique. Quant aux « koulaks de 2e catégorie » – 129 000 à 154 000 familles – définis comme les « paysans les plus riches, mais moins activement engagés dans des activités contre-révolutionnaires », ils devaient être arrêtés et déportés, avec leur famille, dans les régions éloignées du pays (note n° 3 : La commission spéciale du Politburo chargée de la « dékoulakisation », sous la présidence de Viatcheslav Molotov, définit dans le cours des évènements une 3e catégorie de « koulaks ». Qualifiés de « loyaux envers le régime », ces « koulaks » devaient être expropriés, puis réinstallés aux marges des districts ou des provinces où ils résidaient, « hors des zones collectivisées, sur des terres nécessitant une mise en valeur »). En fait, le terme de « koulak », paysan « riche », n’était guère plus qu’une étiquette, qui permettait aux « brigades » et autres « commissions de dékoulakisation » de se débarrasser de tous les éléments socialement ou politiquement suspects, ex-propriétaires fonciers, serviteurs du culte, commerçants, voire anciens membres du parti socialiste-révolutionnaire, encore nombreux dans certaines régions.
(…) Les deux premières années (1930-1931), la désorganisation la plus complète, l’absence totale de coordination entre les opérations de déportation menées par l’OGPU et l’installation des déportés, du ressort d’autorités locales débordées, transformèrent la « dékoulakisation » en une déportation-abandon sans précédent. Après des semaines de voyage dans des wagons à bestiaux, des centaines de milliers de déportés furent abandonnés à leur sort, regroupés dans des baraquements de fortune le long des voies de chemins de fer, sans ravitaillement régulier, ni travail, voire débarqués au milieu de la steppe ou de la taïga, sans que la moindre infrastructure d’accueil ait été mise en place. Épidémies et disettes décimèrent les déportés, en premier lieu les enfants et les personnes âgées. En deux ans, 500 000 personnes moururent ou parvinrent à s’enfuir des lieux où elles avaient été déportées. »
Après ces terribles déportations du début de la décennie de 1930, Staline organisa le Génocide que l’on nomme aujourd’hui : le Holodomor, c’est-à-dire la gigantesque Famine Ukrainienne de 1932-1933, faisant 6 000 000 de morts.
Pour revenir à notre sujet : la Grande Terreur, elle se déroula de concert avec les centaines de Procès politiques publics truqués qui eurent lieu à cette époque à travers toute l’U.R.S.S., et notamment, les trois grands Procès de Moscou (confer l’ouvrage de Nicolas Werth : « Les Procès de Moscou »), entre 1936 et 1938, concernant l’ »ancienne garde bolchevique (communiste) » de l’époque de Lénine : Trotski, Kamenev, Zinoviev, Boukharine, etc.. Voici un récapitulatif des parodies de Justice concernant les Procès politiques publics provinciaux (page 40, note n° 3) :
Comme l’atteste un rapport envoyé, le 19 décembre 1937, par le procureur général de l’URSS, Andrei Vychinskii, à Staline, en trois mois (10 septembre-10 décembre 1937), 626 procès publics avaient été tenus : 181 « dans le domaine de la liquidation du sabotage dans l’élevage » et 445 « dans le domaine de la liquidation du sabotage dans le stockage des céréales ». Au total, 5 612 personnes avaient été condamnées, dont 1 955 à la peine capitale (…) ».
Les deux grands organisateurs de la Grande Terreur furent Staline et Iejov. Leur objectif était de « purifier » la société Soviétique, en éliminant les « gens du passé » susceptibles de nuire à la « nouvelle société en cours d’édification » et donc considérés comme : « socialement nuisibles » et « ethniquement suspects ». Malheureusement, ces deux terminologies se transformèrent concrètement (comme nous le verrons dans le déroulement de ce commentaire), en une gigantesque réalité macabre…
Le but de ce commentaire est de dérouler le processus de cette Grande Terreur conduisant à ce terrible bilan humain.
Les « éléments socialement nuisibles » étaient ciblés par l’ordre opérationnel n° 00447 nommé : « Opération koulak » ou « ligne koulak » ; et les éléments « ethniquement suspects » étaient déterminés par un ordre opérationnel nommé : « Opération nationale » ou « ligne nationale ». Puis chaque ordre opérationnel distinguait deux catégories d’ennemis à « traiter » : la première catégorie était la « 1re catégorie », les individus à fusiller ; et la seconde était la « 2e catégorie », à savoir les personnes condamnées à passer 10 ans dans les camps de concentration et de travaux forcés du Goulag. La Grande Terreur débuta donc le 2 juillet 1937 par « l’Opération koulak », et c’est Staline en personne qui déclencha cette gigantesque Opération de persécution et d’extermination de masse (page 75) :
« Au nom du Comité central, Staline adressa ce jour-là la directive secrète suivante à tous les dirigeants régionaux et républicains du Parti :
« Il est remarqué qu’une grande partie des ex-koulaks et criminels, exilés dans les régions du Nord et de la Sibérie, et rentrés par la suite, à l’issue de leur peine, chez eux, sont les principaux instigateurs des crimes antisoviétiques aussi bien dans les kolkhozes, les sovkhozes que dans les transports et certaines branches de l’industrie.
« Le Comité central propose à tous les secrétaires régionaux et républicains du Parti, ainsi qu’à tous les responsables régionaux NKVD de ficher tous les koulaks et criminels retournés chez eux afin que les plus hostiles d’entre eux puissent être immédiatement arrêtés et fusillés à l’issue d’une procédure administrative simplifiée devant une troïka, les autres moins actifs, mais néanmoins hostiles, étant exilés dans des régions éloignées du pays sur ordre du NKVD.
« Le Comité central vous invite, dans un délai de cinq jours, à lui proposer la composition des troïki, le nombre d’éléments à fusiller ainsi que le nombre d’éléments à exiler. »
« Le Secrétaire du Comité central, J. Staline. »
Voici comment étaient classifiés les « ennemis du peuple » (page 20) :
« (…) la « ligne koulak » (…) visait à « éliminer une fois pour toutes », un large éventail d’ennemis que l’on pourrait qualifier de « traditionnels » pour le régime bolchevique : les « ex-koulaks », les « gens du passé », élites de l’Ancien Régime, membres du clergé, anciens membres de partis politiques non bolcheviques, ainsi qu’une vaste cohorte de marginaux sociaux regroupés sous le terme générique « d’éléments socialement nuisibles ». La seconde « ligne », dite « nationale », définie par une douzaine d’opérations secrètes – « opération polonaise », « opération allemande », « opération de Harbin » (note n° 1 : Du nom de cette ville de Mandchourie qui avait abrité une importante colonie « d’expatriés » de nationalité soviétique, travaillant comme employés et cheminots de la Compagnies des chemins de fer de Chine orientale. jusqu’en 1935, cette compagnie était gérée par les Soviétiques. Après la vente de cette compagnie au Japon, la plupart des cheminots et employés revinrent en URSS. Pour les autorités, ils représentaient un vivier idéal « d’espions et de diversionnistes à la solde des services secrets japonais »), « opération lettone », « opération finlandaise », « opération grecque », « opération estonienne », « opération roumaine », etc. – était dirigée tout particulièrement contre les émigrés notamment politiques, mais pas exclusivement, de ces pays réfugiés en URSS, les citoyens soviétiques d’origine polonaise, allemande, lettone, finlandaise, grecque mais aussi tous les citoyens soviétiques qui avaient un lien, aussi ténu fût-il, professionnel, familial, ou tout simplement géographique (les habitants des régions frontalières étaient de ce fait particulièrement vulnérables) avec un certain nombre de pays identifiés comme hostiles, Pologne, Allemagne, pays baltes, Finlande, Japon. »
Des « conférences opérationnelles » furent organisées pour décrire le processus opérationnel de la Grande Terreur dans toute l’U.R.S.S.. Voici le discours de Mironov, particulièrement révélateur et explicite, quant aux modalités concrètes de l’application de la Terreur (pages 86, 87 et 88) :
« Dans la seconde quinzaine de juillet 1937, se tinrent, aux sièges régionaux du NKVD, des « conférences opérationnelles » rassemblant les responsables de district chargés de mettre en oeuvre « l’Opération koulak ». Voici en quels termes Mironov, le chef du NKVD de la région de Sibérie occidentale, de retour de Moscou, expliqua à ses subordonnés le sens et les modalités de l’opération :
« Jusqu’à ce qu’on ait terminé cette opération, sachez que celle-ci est absolument secrète, un secret d’État. Quand je vous présenterai le Plan attribué à notre région, les chiffres que vous entendrez, vous devrez les faire disparaître de votre tête. Ceux qui ne parviendront pas à extirper ces chiffres de leur tête, ils devront se faire violence et les chasser d’une manière ou d’une autre, car la moindre diffusion de ces chiffres, la moindre mention de ces chiffres, vous conduirait sur-le-champ devant un tribunal militaire (…)
« L’opération commencera par la 1re catégorie. Vous enverrez à la troïka le dossier déjà prêt avec la résolution et quelques extraits. Les listes des éléments arrêtés, vous ne les montrerez au Procureur qu’après la fin de l’opération et vous ne mentionnerez jamais la catégorie (1re ou 2e) attribuée. Vous vous bornerez à indiquer : koulak, criminel, autre, article du Code pénal, date de l’arrestation. C’est tout ce que vous enverrez au procureur. Les délais de garde à vue dans les cellules d’incarcération provisoire n’ont plus de limite. Vous pouvez garder les individus arrêtés dans les cellules d’incarcération provisoire deux mois si vous le souhaitez. Inutile de préparer de nombreux comptes rendus d’interrogatoire. Au grand maximum, deux-trois par individu. Si l’individu arrêté a avoué, un seul compte rendu suffit. Inutile d’organiser des confrontations, convoquez deux-trois témoins, inutile de les confronter avec l’accusé. Dans les affaires de groupe, vous pouvez exceptionnellement organiser des confrontations si certains ne se décident pas à avouer, et seulement dans ce cas. Les dossiers seront ficelés de manière accélérée. Mais sachez qu’après l’opération, il risque d’y avoir un contrôle d’en haut, un contrôle sérieux, aussi fait-il être très exigeant du point de vue de l’attribution de la catégorie, première ou seconde. Pourquoi faut-il être exigeant ? Nous avons deux mois et demi de travail devant nous, or, dans un mois, on peut découvrir de nouvelles affaires, de nouveaux groupes, et qu’est-ce qui risque d’arriver ? Que nous aurons tout simplement éclusé notre quota, dans un mois on risque de n’avoir plus de quota. Il est indéniable au jour d’aujourd’hui qu’avec le fichage assez superficiel que nous avons, un certain nombre d’individus fort intéressants de notre point de vue ont été classés en deuxième catégorie, alors qu’ils méritent assurément la première. Donc, en rentrant chez vous, vérifiez bien ceux que vous avez en 1re catégorie, faites des transferts qui s’imposent de la 1re à la seconde, vérifiez ceux que vous avez mis en seconde, peut-être y trouverez-vous des individus qu’on peut sans hésiter mettre en 1re.
« Notre quota en 1re catégorie est de 11 000, cela veut dire qu’au 28 juillet, vous devez avoir 11 000 individus déjà arrêtés, prêts, sous la main. Vous pouvez bien sûr en avoir 12 000, 13 000 et même 15 000, je ne vous limiterai pas. Vous pouvez même aller jusqu’à 20 000 en 1re. Ainsi, vous aurez la possibilité de faire ensuite un choix, voir ceux qui conviennent pour la 1re catégorie et ceux qu’on peut transférer en 2e. Je répète que vous pouvez avoir 20 000 arrêtés, mais il faudra alors soigneusement choisir les éléments les plus intéressants pour le 1re. D’ici dix-quinze jours, la vie, le cours des choses et des évènements apporteront des correctifs certains. Tout ce qui peut ressembler à une organisation clandestine, vous devrez vous appliquez à le déraciner, à l’extirper, à l’anéantir.
« Vous devrez exhumer les réseaux clandestins organisés, votre tâche, ce n’est pas de finir des affaires, de les classer, mais au contraire de les faire apparaître, de les dérouler jusqu’au bout, de mener l’ultime combat avec la contre-révolution organisée.
« Maintenant, quelques aspects techniques. Prenons, par exemple, le secteur de Tomsk, ou d’autres secteurs. Pour chacun d’entre eux, en moyenne, il faudra exécuter 1 000 individus et, dans certains, jusqu’à 2 000.
« Que devra faire le responsable opérationnel du secteur quand il viendra sur place ? Trouver un lieu pour les exécutions et un lieu pour les inhumations. Si l’on enterre les cadavres dans un bois, par exemple, il faut au préalable découper la mousse, puis en recouvrir la terre fraîchement retournée pour masquer le lieu, afin qu’il ne devienne pas un jour un endroit où pourrait se donner libre cours le fanatisme contre-révolutionnaire de la cléricaille. Notre appareil même ne doit absolument pas savoir où les individus ont été exécutés, personne ne doit rien savoir, car c’est de notre propre appareil qu’un jour ces informations pourraient bien sortir. »
C’est donc le 30 juillet 1937 que Nikolaï Iejov signa l’ »Ordre opérationnel du commissaire du peuple aux Affaires intérieures de l’U.R.S.S. n° 00447 sur l’opération de répression des ex-koulaks, criminels et autres éléments antisoviétiques », ou plus simplement nommé : « Opération koulak ». Cet Ordre n° 00447 conduisit à partir du 5 août 1937 à la rafle et l’arrestation d’environ 800 000 personnes, dont la moitié (la 1re catégorie) fut exécutée et l’autre moitié (la 2e catégorie), condamnée à une peine de 10 ans au Goulag.
Durant cette période de persécution à grande échelle, il suffisait de connaître une personne qui avait été arrêtée, pour être arrêté à son tour. Voici comment se déroulait ces terrifiantes rafles de masse, à travers le récit d’une rafle organisée dans le district de Prokopievsk, fin août 1937 (page 181) :
« Un soir, nous sommes partis de Prokopievsk à quinze camions avec des gardes armés vers le village spécial Ioujnyi que nous avait indiqué Dymnov (note n° 2 : Un des responsables du NKVD de Novossibirsk) comme « endroit où le gibier est abondant et la chasse bonne ». Il y avait surtout des déplacés spéciaux. Nous avons arrêté tous les hommes. On n’avait pas de mandat d’arrêt, on les prenait tous, les uns après les autres, du moins ceux qui étaient dans les baraquements. On en a arrêté ainsi plus de 200 (…) Puis Dymnov a dressé, à l’aide de l’administration des peuplements spéciaux, la liste des gens qui avaient été pris. Ils furent tous inscrits comme membres d’une organisation terroriste de koulaks, selon un schéma préparé à l’avance. En général, les gens arrêtés refusaient d’avouer les deux-trois premiers jours et de signer les procès-verbaux. Alors on commença à employer la méthode forte : coups et interrogatoires à la chaîne sans sommeil ni nourriture, « travail en cellule » (note n° 3 : Cette méthode (vnutrikamernaia obrabotka) largement pratiquée durant la Grande Terreur, consistait à introduire dans les cellules de « faux détenus » (agents du NKVD) chargés de faire avouer les personnes arrêtées par des menaces, des chantages, des coups) pour les contraindre à signer ».
Les responsables policiers locaux envoyèrent en urgence des listes « bricolées » de milliers de noms en provenance de toute l’U.R.S.S., aux responsables régionaux. Ces listes étaient signées par Iejov ou par son premier adjoint, Frinovskii, puis transmises à Moscou afin d’être contre-signées par Staline ou l’un de ses plus proches collaborateurs (page 46) :
« Certains jours, Staline et Molotov signaient plusieurs dizaines de listes : ainsi, le 12 septembre 1938, ils entérinèrent pas moins de 6 013 condamnations, dont 4 825 « en 1re catégorie » ; la fin, déjà programmée, de la Grande Terreur, nécessitait « d’écluser » au plus vite les listes « en souffrance »… Le Collège militaire de la Cour suprême, présidé par V. Ulrikh, était ensuite chargé de « formaliser » les condamnations, soit en session ordinaire, à Moscou, soit en session itinérante, en province. Le dossier d’accusation était transmis à l’accusé vingt-quatre heures avant sa comparution ; l’audience, à huis clos et sans défense, durait entre dix et vingt minutes, le temps pour l’accusé de décliner son identité, de répondre à deux ou trois questions et de reconnaître ou nier sa culpabilité. La condamnation était sans appel et immédiatement exécutoire ». (note n° 2 : Les rares témoignages sur cette procédure font état d’un certain nombre de cas où la condamnation à mort n’était même pas annoncée à l’accusé. « Le verdict vous sera annoncé ultérieurement », était-il dit au condamné, qui ne découvrait que sur le lieu d’exécution le sort qui l’attendait).
(note n° 1 : La signature de Staline figure sur 357 listes, celle de Molotov sur 372 listes, celle de Kaganovitch sur 188 listes, de Vorochilov sur 185 listes, de Jdanov (particulièrement actif, alors qu’il n’était encore que membre suppléant – et non membre à part entière – du Politburo) sur 176 listes. 8 listes avaient été signées par Mikoian, 5 par Kossior. Les signatures de plusieurs autres membres du Politburo, moins proches de Staline (Kalinine, Tchoubar, Andreiev) ne figurent pas sur les listes des condamnés. »
L’établissement de ces listes déclenchait donc des rafles et arrestations arbitraires massives, suivies de procédures expéditives et de l’extorsion de faux aveux, bien souvent sous différentes formes de torture comme celle de la « chaîne » (consistant en la privation totale de sommeil durant plusieurs jours, voire plusieurs semaines).
Les quotas en « 1re catégorie » et « 2e catégorie » furent rapidement augmentés suite aux déclarations de Iejov, lorsqu’il proposa d’accorder (page 85) :
« (…) des « quotas d’éléments à réprimer » pour chaque région, arguant du fait que dans le cours de l’opération un grand nombre « d’éléments contre-révolutionnaires seraient découverts en sus de ceux qui étaient déjà fichés ». Iejov aurait clairement signifié « qu’on n’était pas à un millier d’exécutés près » et qu’il était « inévitable qu’un certain nombre d’individus innocents soient annihilés dans cette opération qui éradiquera définitivement les ennemis du régime soviétique ». »
D’ailleurs, initialement « l’Opération koulak » devait durer quatre mois, et finalement la surenchère dans l’augmentation des quotas d’arrestation fit qu’elle en dura…, seize !
Par conséquent, alors qu’au début, l’ordre n° 00447 de « l’Opération koulak » prévoyait déjà l’exécution de 75 950 personnes et la déportation de 193 500 autres, le nombre de victimes de la « 1re catégorie » (à fusiller) fut multiplié par cinq, et celui de la « 2e catégorie » (à déporter), multiplié par 2.
Entre décembre 1937 et janvier 1938, dans toute l’U.R.S.S, les représentants du N.K.V.D. faisaient preuves de zèle dans leurs demandes d’augmentation des quotas, envoyées au Politburo et accompagnées de descriptions hallucinantes de soi-disant gigantesques « organisations insurrectionnelles », d’ »état-major insurrectionnel », dirigé par un « bloc de trotskistes, droitiers, SR (Socialistes-Révolutionnaires), Gardes blanc », etc..
Les chefs du NKVD les plus « efficaces » et zélés reçurent même la plus haute distinction de la part du chef d’État : Mikhaïl Kalinine.
Le 15 octobre 1937, Staline et Iejov prirent l’innommable décision d’augmenter, de nouveau, les quotas à hauteur de 120 320 victimes à réprimer, dont 63 120 en « 1re catégorie » et 57 200 en « 2e catégorie », répartis dans 58 régions et Républiques Fédérées. Le 3 novembre, Iejov demanda aux responsables régionaux du NKVD « d’activer l’opération » qui devait se terminer le 10 décembre, et leur rajouta encore des quotas supplémentaires de victimes pour un total de 141 000, dont 73 000 en « 1re catégorie » et 68 000 en « 2e catégorie ».
Alors que Khrouchtchev s’occupait de « concocter » des listes de victimes pour la région de Moscou, fin janvier 1938, il fut nommé par Staline, en remplacement de Kossior, en Ukraine. En effet, Kossior étant considéré comme insuffisamment « productif » dans l’établissement des listes, Khrouchtchev fut chargé d’augmenter la répression afin d’atteindre les quotas sans cesse en augmentations ; et de lutter plus efficacement contre le « nationalisme ukrainien ». On comprend donc mieux pourquoi, après la mort de Staline, lors du XXème Congrès du Parti Communiste d’Union Soviétique en 1956, alors que Khrouchtchev était couvert de sang de la tête aux pieds, celui-ci s’est largement servit du fameux « Rapport Secret » afin de dénoncer uniquement les Crimes du Stalinisme contre les seuls membres du Parti ; en profitant au passage, pour reporter la responsabilité criminelle de tous les hauts responsables du Politburo, sur l’unique…, Staline. Ce dernier étant mort, cela était effectivement très pratique tant que le secret sur la Grande Terreur resterait préservé…
Un autre document confidentiel démontre le plus grand secret dans lequel se déroulait l’horreur des exécutions, de l’ordre n° 00447. Il s’agit (pages 92 et 93) :
« (…) de la directive envoyée le 2 août 1937, par Popachenko, le chef du NKVD de la région de Kouïbychev, au capitaine de la Sécurité d’État Korobitsin, responsable des « opérations de répression » dans le district d’Oulianovsk.
« Strictement confidentiel.
« Préparez un lieu secret, si possible dans une cave du bâtiment du NKVD, où les condamnés à mort seront exécutés.
« Les exécutions auront lieu de nuit. Avant l’exécution, vous vérifierez soigneusement l’identité de l’individu exécuté.
« Les corps seront enterrés dans une fosse commune creusée à l’avance dans un lieu secret. Le transport des corps devra être effectué exclusivement dans des véhicules de fonction du NKVD.
« Vous signerez le certificat individuel d’exécution en un seul et unique exemplaire. Ces certificats seront envoyés tous les cinq jours sous pli scellé et par paquet séparé spécial uniquement par coursier du NKVD au chef du 8e département (enregistrement-statistique) de la Sécurité d’État de la Direction régionale du NKVD.
« Vous êtes personnellement responsable du secret absolu concernant le lieu, la date, l’heure et les méthodes d’exécution.
« A la réception de ce document, vous m’enverrez la liste du personnel du NKVD autorisé à prendre part au processus d’exécution. En aucun cas, il ne sera fait appel à des fonctionnaires de police ordinaire, ni à des militaires. Toutes les personnes impliquées dans le transport des corps, du creusement et du recouvrement des fosses signeront un document spécial les engageant au secret sous peine d’arrestation immédiate ».
L’obsession du secret était telle que les condamnés à mort eux-mêmes n’étaient jamais informés de la sentence, conformément aux instructions envoyées, le 8 août 1937, par Frinovskii à tous les responsables du NKVD :
« Informer exclusivement les condamnés à la 2e catégorie de la sentence infligée. Ne pas informer les individus en 1re catégorie. Je le répète, ne pas les informer ».
Peu après, une circulaire précisa que la seule réponse que devraient donner les fonctionnaires du NKVD aux questions qui pourraient leur être posées par les proches des personnes condamnées à mort et exécutées était la suivante : « L’individu X a été condamné à dix ans de camp sans droit de correspondance. Le secret serait gardé des décennies durant. »
Ce n’est qu’à partir de l’effondrement de l’U.R.S.S., au début des années 1990, que les familles de victimes ont enfin été autorisées à consulter les dossiers et ainsi découvrir, des décennies après, la vérité, la date de la condamnation à mort et de l’exécution de leurs proches.
Le bilan total pour « l’Opération koulak » de l’ordre n° 00447 s’élèverait donc entre 818 000 et 834 000 condamnés, dont : 437 000 à 445 000 personnes exécutées.
En parallèle de « l’Opération koulak » se déroulèrent une dizaine « d’Opérations de masse » dites : « Opérations nationales ». Ces « Opérations nationales » furent lancées suite à l’obsession paranoïaque des dirigeants Soviétiques d’être convainqus de l’existence d’une soi-disant « cinquième colonne » d’agents infiltrés (page 128) :
« Dix jours avant la promulgation de l’ordre n° 00447, Staline écrivit, durant la réunion du Politburo du 20 juillet 1937, une courte note ainsi rédigée : « Arrêter dans toutes les régions tous les Allemands travaillant dans nos usines militaires, semi-militaires et chimiques, dans nos centrales électriques et chantiers de construction. Ces instructions furent formalisées dans l’ordre n° 00439, envoyé le 25 juillet par Nikolaï Iejov aux directions régionales du NKVD. »
On retrouve les deux mêmes catégories que pour « l’Opération koulak » : « 1re catégorie », la peine de mort ; et la « 2e catégorie », la condamnation à 10 ans de camp.
Puis, le 11 août 1937, Iejov transmit un deuxième ordre visant des « contingents nationaux », aux dirigeants régionaux du NKVD : l’ordre n° 00485 (page 129) :
« (…) destiné à mettre en oeuvre la « liquidation totale des réseaux d’espions et de terroristes de l’Organisation militaire polonaise, infiltrés dans l’industrie, les transports et l’agriculture ». Les catégories et les procédures de répression définies dans ce texte devaient servir de « modèle » pour l’ensemble des « opérations nationales ».
Dès lors d’autres « Opérations nationales » s’enchaînèrent (pages 132 et 133) :
Une troisième « opération nationale », déclenchée peu après, à la suite de l’ordre n° 00593 du 20 septembre 1937 avait pour cible un autre groupe suspect d’entretenir des liens avec une puissance étrangère ennemie, le Japon. Il s’agissait des « Harbiniens », ex-employés et cheminots de la Compagnie des chemins de fer de Chine orientale, basée à Harbin, et qui, après la cession de la ligne au Japon, avaient été rapatriés, comme citoyens soviétiques, en URSS.
(…) Une quatrième opération, déclenchée peu après (23 octobre 1937) par l’ordre opérationnel du NKVD n° 00693 devait frapper l’ensemble des immigrés, « quels que soient les motifs, les dates et les circonstances de leur passage en URSS ». Ceux-ci, d’après la circulaire secrète envoyée par Iejov aux responsables du NKVD, « constituaient le plus grand vivier de cadres espions, saboteurs et terroristes envoyés massivement en URSS par les services secrets étrangers ».
Dans les semaines suivantes, le NKVD déclencha, toujours sur ordre du Politburo, cinq nouvelles « opérations nationales » – l’opération lettone, l’opération finlandaise, les opérations grecques, roumaine et estonienne. Initialement programmées pour une durée de trois mois, les « opérations nationales » furent, à plusieurs reprises, prolongées et ne prirent fin qu’en novembre 1938. »
Une nouvelle fois, le 22 octobre 1937, Iejov étendit les catégories ciblées dans le cadre des « opérations nationales », ordonnant, à travers l’ordre n° 00698, l’arrestation de : « tous les citoyens soviétiques ayant eu un contact, même épistolaire, avec les membres des représentations diplomatiques étrangères », engendrant, à nouveau, la condamnation de dizaines de milliers d’innocents pour « espionnage ».
Parmi les « Opérations nationales », « l’Opération Polonaise » fut celle qui comprit le plus grand nombre de victimes : sur près de 140 000 condamnés, 111 000 (80 %) furent condamnées à la peine mort.
On sait que depuis son échec de tentative de « Communisation » de la Pologne à Varsovie, en 1920, à l’époque de Lénine, Staline, qui plus est, humilié par Trotski, avait conservé une rancune tenace vis-à-vis de la Pologne et du Peuple Polonais. Ce fut l’une des occasions de se venger ; vengeance qu’il renouvela également après les infâmes Pactes Germano-Soviétiques et l’invasion de la Pologne à partir de septembre 1939, et lors du massacre de Katyn en 1940. D’ailleurs, le premier mois (le 14 septembre 1937) de la répression lors de « l’Opération Polonaise », en réponse au rapport de Iejov à Staline, ce dernier répondit et décrivit à Iejov, la haine sans fonds qu’il vouait au pauvre Peuple Polonais (page 140) :
« Cam. (pour camarade) Iejov. Voilà qui est excellent ! Continuez à creuser, à nettoyer et à éradiquer toute cette saleté polonaise. Liquidez-la complètement au nom des intérêts de l’URSS. J. Staline, 14.X.37 ».
« L’opération allemande » donna le second plus important contingent de condamnés : 55 000, dont près de 42 000 (76 %) furent fusillés. « L’opération Harbin » se solda par plus de 33 000 condamnations, dont 21 200 (65 %) à la peine capitale ; « l’opération lettone » par plus de 22 000 condamnations, dont 16 500 (75 %) à la peine capitale. » Etc..
A ce stade de généralisation de la Terreur de masse, il est nécessaire de préciser également que l’ordre opérationnel du NKVD n° 00486 en date du 15 août 1937, consistait à cibler non seulement des personnes considérées comme « ennemies du Peuple », mais également, les membres de leur famille (page 142) :
« (…) la circulaire du secrète du NKVD n° 00486, qui prévoyait l’arrestation – et la condamnation à une peine de cinq à huit ans de camp – des épouses « ou concubines » – des « traîtres à la Patrie et membres des organisations d’espionnage et de sabotage trotsko-droitières » ; un « traitement différencié », camp, maison de redressement, orphelinat, était prévu pour leurs enfants. »
Ce qui était déjà le cas à l’époque de Lénine lorsque Trotski instaura son infâme décret sur les « otages » en 1919 (page 141 note n° 1) :
« Cette pratique fut mise en oeuvre sur une vaste échelle, par exemple, au moment de la répression de l’insurrection paysanne de la région de Tambov, en 1921, dirigée par le général Toukhatchevskii. Les familles des insurgés étaient non seulement déportées ou enfermées en camp de concentration ; les membres mâles des familles des insurgés étaient fusillés. Cf. notamment l’ordre du jour n° 171 du 11 juin 1921, in V. P. Danilov, T. Shanin (…). »
D’ailleurs, le 7 novembre 1937, lors d’un discours prononcé pendant une grande réception organisée à l’occasion du vingtième anniversaire du coup d’État Bolchevique du 7 novembre 1917, Staline déclara (page 141) :
« Nous éliminerons tous les ennemis de l’État et des peuples de l’URSS, nous les éliminerons eux, mais aussi leur famille et leur lignée ! Je lève mon verre à l’extermination finale de tous les ennemis, et de toute leur lignée (rod) ! »
Au total, ce sont environ 20 000 « épouses » qui furent arrêtées et condamnées à de lourdes peines de camp, et à peu près le même nombre d’enfants qui furent placés en orphelinats.
Durant cette Grande Terreur, des exécutions massives eurent également lieu dans les camps de concentration du Goulag. En 1937-1938 certains camps du Goulag se transformèrent en véritables camps d’extermination (pages 126 et 127) :
« Au total, entre 30 000 et 40 000 détenus du Goulag furent exécutés dans le cadre des « opérations spéciales » de l’ordre n° 00447. Ces exécutés s’ajoutaient aux 34 000 détenus décédés en camp en 1937 et aux 126 000 décédés en 1938, sans compter les 38 000 détenus « disparus » cette année-là, au cours de leur transfert en camp. Durant les années de la Grande Terreur, près d’un détenu du Goulag sur six mourut en camp ou pendant son transfert. (note n° 1 : Soit entre 230 000 et 240 000 sur environ 1,5 million. Entre janvier 1937 et janvier 1939, le nombre des détenus du Goulag passa de 1,1 à près de 2 millions.) »
Le bilan humain total comprenant les « Opérations koulak » et les « Opérations nationales », s’élève donc, en seulement 16 mois, d’août 1937 à novembre 1938 : entre 1 444 000 et 1 515 000 citoyens Soviétiques arrêtés et condamnés ; dont entre 725 000 et 741 000 innocents considérés comme faisant parties de la « 1re catégorie » à exécuter totalement arbitrairement et sommairement. Au rythme infernal d’une moyenne de 1 600 exécutions par jour !
Dans ce bilan, la part des victimes exécutées lors des « Opérations nationales » représente environ un tiers des 750 000, soit environ 250 000 personnes.
Il faut également ajouter à ce monstrueux carnage, en plus des quelque 200 000 personnes décédées au Goulag ou « disparues » lors de leur transfert en camp en 1937-1938… (pages 231 et 232) :
« (…) les quelque 420 000 à 450 000 personnes condamnées à une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de camp ou de relégation par les militseiskie troïki, juridictions d’exception de la police ordinaire, instituées (…), dans le but de « nettoyer » les villes de leurs éléments « socialement nuisibles » (note n° 1 : L’ordre n° 00319 (21 mai 1938) élargissait encore les catégories de personnes et les délits relevant des troïki de police aux « hooligans récidivistes » et aux receleurs.) »
Parallèlement à cette opération d’extermination de masse, plus de 800 000 autres victimes Soviétiques appartenant à la « 2e catégorie » (les déportés) ont été condamnées à une peine de 10 ans de travaux forcés et envoyées dans les camps de concentration du Goulag.
Durant cette Grande Terreur, sur une population de 160 millions d’habitants, 1 Soviétique adulte sur 100 fut condamné, et 1 sur 200 exécuté, généralement d’une balle dans la nuque !
En seulement deux ans, durant la Grande Terreur, entre 1937 et 1938 : 1 % de la population fut condamnée à l’une des deux catégories : à fusiller ou à déporter au Goulag !
Mais ce n’est malheureusement pas tout : le Totalitarisme Communiste persécute aussi les croyants et la religion. Par conséquent, durant la Grande Terreur, la principale religion de Russie : la religion orthodoxe fut elle aussi terriblement réprimée. Voici la description de cette indicible barbarie (pages 257 et 258) :
« Même réduit à une trentaine de milliers, ce chiffre signifierait un anéantissement, à 90 %, des membres du clergé (note n° 1 : Au début de 1941, on ne comptait plus en URSS que 5 665 serviteurs du culte officiellement enregistrés (dont plus de la moitié venant des territoires baltes, polonais, ukrainiens et moldaves incorporés en 1939-1940). Des 20 000 églises encore en activité en 1936, de quelques centaines à un millier seulement étaient encore ouvertes à la veille de la guerre). Tel était d’ailleurs le but recherché, comme en témoigne le rapport envoyé, en décembre 1937, par Iejov à Staline. Dans ce document, le chef du NKVD affirmait qu’au cours des quatre derniers mois, un « coup décisif » avait été porté à l’Église : « grâce à nos opérations, la direction de l’Église orthodoxe a été presque entièrement liquidée. 166 métropolites et évêques ont été arrêtés (81 déjà condamnés à mort), ainsi que 9 116 popes (4 629 déjà condamnés à mort), 2 173 moines et moniales (934 déjà condamnés à mort), 19 904 autres activistes cléricaux (7 004 déjà condamnés à mort) ».
La Grande Terreur se termina enfin le 17 novembre 1938, suite à une résolution secrète du Politburo, signée par Staline au nom du Parti et par Molotov, au nom du Gouvernement.
Le 16 janvier 1940, Beria qui remplaça Iejov à la tête du N.K.V.D. soumit à la signature de Staline la 386ème liste depuis le début de la Grande Terreur. Cette liste comprenait 457 noms « d’ennemis du Parti et du régime soviétique, membres actifs d’une organisation contre-révolutionnaire et d’espionnage droitière-trotskyste », dont 346 « mériterait la 1re catégorie ». Sur cette longue liste figurait le nom d’une certain… Iejov et de quatre-vingt coaccusés, car selon l’infâme principe de Staline : il fallait exterminer l’ »ennemi » et tout son rod (lignage). Iejov fut alors condamné à mort puis fusillé. La Grande « Purge » de la Grande Terreur était alors remontée jusqu’au chef suprême du N.K.V.D., Iejov, finalement « victime » à son tour de son propre système Terroriste ; et la boucle était ainsi…, bouclée…
Cette Terreur de masse se déroula dans le plus grand secret d’État : les familles, les proches et très souvent les condamnés eux-mêmes n’étant pas informés de l’effroyable sentence. Les victimes disparaissaient mystérieusement sans laisser de traces, esseulées et furent recouvertes par l’oubli durant des décennies…, jusqu’à l’effondrement de l’U.R.S.S. en 1991.
Suite à l’ouverture des Archives à partir de 1992, les historiens recueillirent un précieux témoignage pour notre Mémoire collective (pages 326 et 327) :
« Le témoignage d’un ancien tchékiste (note n° 1 : Il s’agit de A. V. Sadovskii. En 1937, celui-ci travaillait dans le département administratif du NKVD de Moscou, chargé notamment de la gestion du patrimoine immobilier et des terrains du NKVD.) conduisit les historiens sur la piste du « polygone de tir » de Boutovo, dans la banlieue de Moscou, une « zone d’affectation spéciale » du NKVD de plusieurs dizaines d’hectares entourée de hautes palissades, comme il en existait beaucoup. Des excavations permirent de découvrir les premières fosses communes de l’immense charnier de Boutovo où, comme l’ont montré les recherches menées depuis, entre le 8 août 1937 et le 19 octobre 1938, 20 761 suppliciés avaient été ensevelis après avoir été exécutés. (note n° 3 : Les excavations et les investigations médico-légales menées entre 1993 et 1997 ont montré que l’immense majorité des condamnés avaient été exécutés d’une ou plusieurs balles de calibre 7,62 tirées d’un pistolet de type Nagan dans la nuque à bout portant. Il n’a pas pu être établi avec précision la proportion de condamnés exécutés sur place au bord des fosses, et celle des condamnés exécutés ailleurs (généralement dans les différentes prisons de Moscou) et dont les cadavres avaient été ensuite jetés dans les fosses communes de Boutovo). D’autres charniers furent découverts dans la banlieue de Saint-Pétersbourg, à Levachovo, une autre « zone spéciale » du NKVD – plus de 46 000 exécutions entre le début des années 1920 et le début des années 1950, dont l’immense majorité en 1937-1938 – mais aussi dans plusieurs dizaines de « zones » et autres « polygones secrets » gérés par l’immense appareil de la Sécurité d’État et situées généralement aux périphéries des villes. Parmi les charniers les plus importants exhumés depuis le début des années 1990, figurent ceux de Sandormokh (plus de 7 000 exécutés), près de la petite ville de Medvejiegorsk (Carélie) ; de Bykivnia (environ 10 000 exécutés), près de Kiev ; de Vinnitsa (découverts par les Nazis en 1942) ; de Dybovna, près de Voronej. A ce jour, une trentaine de lieux d’exécutions de masse ont été localisés, ce qui ne représente qu’une petite fraction de l’ensemble des charniers où ont été ensevelis les quelque 750 000 fusillés de la Grande Terreur. »
Nicolas Werth commence et termine son ouvrage par deux histoires « banales » : celle d’un ivrogne et d’une marchande de fleurs de 74 ans. Pourtant dans cet univers Totalitaire Communiste où règne l’arbitraire total et impitoyable, ainsi que le fanatique délire Idéologique conduisant à l’horreur la plus absolue : l’ivrogne et la marchande de fleurs finirent tous deux, comme des centaines de milliers d’autres citoyens Soviétiques…, fusillés.
En conclusion :
Nicolas Werth présente dans cet ouvrage une importante quantité de documents issus des Archives de Moscou : Ordres opérationnels, témoignages, comptes rendus de réunion, ordres-courriers de Staline, etc..
Lors de cette Grande Terreur, le citoyen Soviétique fut déshumanisé car transformé en un simple nom anonymement perdu parmi des milliers d’autres noms dans une liste, un quota à réprimer, et destiné à être exécuté ou déporté dans l’oubli le plus complet…
Cette effroyable Grande Terreur rappelle un autre massacre Stalinien, tragiquement devenu célèbre depuis que Gorbatchev a transmis les documents officiels signés par Staline et Béria, à Boris Eltsine, en 1991, celui de : Katyn en Pologne, en avril 1940.
Dangereusement, la Russie actuelle de Poutine (ex-tchékiste du K.G.B. (confer Thierry Wolton : « Le KGB au pouvoir : Le système Poutine »), organe descendant directement du N.K.V.D. et de la Tcheka de Lénine), tente ignominieusement de réhabiliter progressivement…, Staline et par conséquent, avec lui…, le Totalitarisme Communiste !

Détails sur L’ivrogne et la marchande de fleurs. Autopsie d’un meurtre de masse 1937-1938

Auteur : Nicolas Werth

Editeur : Editions Tallandier

Nombre de pages : 335

Isbn : 978-2847345735

L’ivrogne et la marchande de fleurs. Autopsie d’un meurtre de masse 1937-1938

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