Face à l’extrême

Critique de le 14 septembre 2020

Je n‘ai pas aimé...Plutôt déçu...Intéressant...Très bon livre !A lire absolument ! (Pas encore d'évaluation)
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Essais

Dans ce formidable ouvrage, Tzvetan Todorov décrypte les différents sentiments ressentis par les prisonniers, à travers des témoignages de survivants et de tortionnaires, dans l’horreur des camps de concentration : Communistes et Nazis.

L’auteur décrit par exemple le fait que : nombreux sont les prisonniers qui ont « choisi » la dignité du suicide, plutôt que de se laisser sauvagement exécuter par leurs bourreaux.

On est également stupéfait de constater que les hommes qui perpétraient le MAL ABSOLU n’étaient, pour la plupart, ni des monstres fanatiques, ni des sadiques, mais des gens étonnement ordinaires adhérant à la politique inhumaine menée par l’Etat Totalitaire. Comme Tzvetan l’explique, page 139 :

« On s’est souvent demandé comment des « gens ordinaires », « bons maris et pères de famille », avaient pu accomplir tant d’atrocités : qu’était devenue leur conscience morale ? La réponse est que, grâce à cette captation des fins dernières, à cette restriction des hommes à la seule pensée instrumentale, le pouvoir totalitaire pouvait obtenir qu’ils accomplissent les tâches qui leur sont prescrites sans avoir besoin de toucher à la structure morale de l’individu. Les gardiens responsables d’atrocités ne cessent pas de distinguer entre le bien et le mal, ils n’ont subi aucune ablation de leurs organes moraux ; mais ils pensent que cette « atrocité » est en fait un bien, puisque l’Etat – détenteur des critères du bien et du mal – le leur dit. Les gardiens sont non pas privés de morale, mais dotés d’une morale nouvelle ».

Et, sur la notion de responsabilité individuelle, Tzvetan Todorov nous éclaire encore, page 143 :

« Non, les hommes ne sont jamais entièrement privés de la possibilité de choisir. La personne est responsable de ses actes quelles que soient les pressions qu’elle subit, autrement elle renonce à son appartenance humaine ; toutefois, quand les pressions sont vraiment grandes, le jugement doit en tenir compte ».

Suit une intéressante analyse sur le degré de responsabilité morale de la part : des populations témoins de ces persécutions et de ces déportations. L’auteur cite, ici, Evguenia Guinzbourg (survivante du Totalitarisme Communiste) Vertige (le) et Le Ciel de la Kolyma, tome 2 : Le Vertige, pages 157 et 158 :

« Il ne suffit pas pour retrouver la paix de se dire qu’on n’a pas pris une part directe aux assassinats et aux trahisons. Car qui a tué ? Pas seulement celui qui a frappé, mais aussi tous ceux qui ont apporté leur soutien à la Haine. Peu importe de quelle manière. En répétant sans réfléchir des formules théoriques dangereuses. En levant sans rien dire la main droite. En écrivant lâchement des demi-vérités (II, 188) ».
« De cela les habitants des pays totalitaires sont bien responsables ».

Ensuite, Tzvetan Todorov dissèque la schizophrénie des bourreaux, dans les camps de concentration, qui tentent de se dédouaner de leurs monstruosités, page 183 :

« Toute pensée des fins est écartée ; il n’est question que des moyens, et encore de moyens appropriés à une partie du processus seulement ».

Egalement, page 185 :

« Aucun des éléments de la chaîne (bien plus longue en réalité) n’a le sentiment d’avoir la responsabilité de ce qui est accompli : la compartimentation du travail a suspendu la conscience morale. La situation, n’est légèrement différente qu’aux deux bouts de la chaîne : quelqu’un doit bien prendre la décision – mais il suffit d’une seule personne pour cela, d’un Hitler, d’un Staline, et le destin de millions d’êtres humains bascule dans le macabre ; cette personne, qui plus est, n’a jamais affaire aux cadavres, au concret. Et quelqu’un doit bien donner le coup de grâce – cette personne perdra le repos intérieur jusqu’à la fin de ses jours (qui risque de toutes façons d’être très proche), mais elle n’est, pour le coup, vraiment coupable de rien ».

Et encore, page 187 :

« Dans un régime totalitaire, la schizophrénie sociale, la séparation de la vie en sections imperméables, est un moyen de défense pour qui garde encore quelques principes moraux : je ne me comporte de façon soumise et indigne que dans tel fragment de mon existence ; dans les autres, que je juge essentiels, je reste une personne respectable. Sans cette séparation je ne pourrais fonctionner normalement ».

Puis, Tzvetan Totorov traite de l’effroyable thème de la dépersonnalisation ou déshumanisation, pages 192 et 193 :

« D’autres techniques sont moins brutales, mais non moins efficaces. Les détenus sont privés de leur nom et dotés d’un numéro ; or le nom est la première marque de l’individu. En parlant d’eux, les gardiens évitent d’employer des termes comme « personnes », « individus », « hommes », mais les désignent comme « pièces », « morceaux », ou se servent de tournures impersonnelles. Stangl continue de le faire dans ses entretiens avec Sereny, plus de trente ans après les faits : « tout était terminé » (pour désigner un assassinat collectif), « un transport était classé », etc. (182). « Il était interdit d’employer le mot « mort » ou le mot « victime » parce que c’était exactement comme un billot de bois », se souviennent deux fossoyeurs de Vilno (Lanzman, 24). Une note secrète, concernant les modifications à apporter dans les camions qui servent de chambres à gaz mobiles, à Chelmno, datée du 5 juin 1942, donne particulièrement froid dans le dos : les êtres humains à tuer sont toujours désignés comme « le chargement », « les pièces », ou pas désignés du tout : « quatre-vingt-dix-sept mille ont été traités » (Kogon et al., III-IV) ».

Et puis, page 193 :

« Enfin toute inclusion des individus dans une catégorie plus abstraite contribue à les dépersonnaliser : il est plus facile de traiter de manière inhumaine les « ennemis du peuple » ou les « koulaks » qu’Ivan et Macha ; les juifs ou les Polonais, plutôt que Mordehaï et Tadeusz. Les communistes se comportent ainsi jusque dans les camps nazis. Elles ne demandaient pas : « Souffres-tu ? ». Ou bien : « As-tu de la fièvre ? » mais : « Es-tu membre du Parti communiste ou non ? » (Buber-Neumann, Milena, 230). La réduction de l’individu à une catégorie est inévitable si l’on veut étudier les êtres humains ; elle est dangereuse dès qu’il s’agit d’une interaction avec eux : en face de moi je n’ai jamais une catégorie mais toujours et seulement des personnes ».

Une oeuvre extraordinaire d’analyses et de réflexions profondes sur la MORALE et pour tenter de comprendre : POURQUOI des êtres humains peuvent engendrer le MAL ABSOLU !

Confer également, d’autres ouvrages tous aussi passionnants de Tzvetan Todorov :
– Mémoire du mal, Tentation du bien : enquête sur le siècle ;
– Le Nouveau Désordre mondial : Réflexions d’un Européen ;
– Les Abus de la mémoire ;
– L’Esprit des Lumières ;
– La Peur des barbares : Au-delà du choc des civilisations.

Détails sur Face à l’extrême

Auteur : Tzvetan Todorov

Editeur : Seuil

Nombre de pages : 342

Isbn : 978-2020222228

Face à l’extrême

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