« Bienvenue à Oakland », d’Eric Miles Williamson

Critique de le 30 décembre 2011

Je n‘ai pas aimé...Plutôt déçu...Intéressant...Très bon livre !A lire absolument ! (8 votes, moyenne: 4,25 / 5)
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Psychologie Roman

Blog: Passion-romans

Eric Miles Williamson cède sa plume à T-Bird Murphy, personnage narrateur du livre. Quelle histoire bon Dieu… J’avoue n’avoir jamais rien lu de pareil et je reconnais qu’il va me falloir un moment pour m’en remettre! Pour l’expliquer d’une autre manière, difficile d’en sortir indemne. On en prend plein la gueule. Eric Miles Williamson, par la voix furieuse et pleine de rage de T-Bird Murphy, nous plonge dans les ghettos sombres, malsains et dangereux d’Oakland, ville industrielle située en face de San-Francisco, où certaines races, dont de pauvres blancs comme lui, sont totalement exclus, catalogués et traités comme des clébards dans la société.

Si vous cherchez à découvrir de la belle littérature sans trop de vulgarité, autant vous dire que vous n’ouvrez pas le bon bouquin! Quoi que… Le franc parlé du personnage, d’une dureté extrême, est aussi d’une subtilité effarante et non dénué de sens (bien au contraire!). T-Bird Murphy nous parle entre quatre yeux, nous crache à la figure sa vision d’exclu vis-à-vis d’une Amérique de merde, ne cherche absolument pas à nous ménager – nous insulte même parfois – et va droit au but avec un langage rempli de rage et de dégoût. Sa parole franche et son monologue scabreux et dur nous emportent malgré nous, avec lui, dans sa zone, son milieu, dans son indignité. On écoute, on écoute encore et on ne s’en lasse pas. On dit « merde », souvent… On se dit que ce n’est pas possible de vivre ça! Et pourtant… Nous ne pouvons que compatir, avec notre regard extérieur, tout en restant d’une certaine manière concernés, sans savoir pourquoi.

J’ai tout de même envie de dire que les propos de T-Bird Murphy sont une sorte de poésie, mais à sa manière. A la manière de la rue et de la merde. A la manière finalement d’une personne salement victime de l’exclusion et qui l’exprime avec de la classe, vulgairement classe… Une belle leçon de philosophie de vie au bout du compte. T-Bird Murphy ne sollicite pas notre pitié, il veut juste s’exprimer… Après avoir parcouru quelques kilomètres de lecture au côté de ce personnage, on se doute bien que T-Bird Murphy et l’auteur Eric Miles Williamson ne sont qu’une seule et même personne.

Fils d’immigrés irlandais, la quarantaine, T-Bird Murphy vit dans un box de parking merdique, infecté de bestioles de toutes sortes. Il enchaîne les petits boulots depuis l’âge de 10 ans – ramasser les crottes de chiens sur les trottoirs, manoeuvre sur les chantiers, chauffeur de camion-poubelle, pour n’en citer que quelque-uns – mais ne gagne largement pas sa vie. Et pourtant, il a tout essayé. Il exprime d’ailleurs clairement ce qu’il pense des employeurs, de ces grands connards de patrons qui exploitent et profitent de gens comme lui. Il nous parle aussi de son enfance, une enfance que même un chien ne voudrait pas! Je ne vous donne pas de détails ici. Je vous dit juste que c’est inhumain, amer, cruel et intolérable.

T-Bird Murphy nous livre donc sa vie, sa merde, ou plutôt des passages de sa vie, agréables ou non, mais plutôt désagréables. Mais aussi les bons moments comme sa passion pour la musique, le jazz – la trompette – un tremplin essentiel pour rétablir son moral et le propulser au plus haut. T-Bird Murphy est un grand mélomane comme son père Bud – enfin pas son vrai père, évidemment – et quand il joue, il oublie sa déchéance, sa misère et sa souillure de vie et il se met à rêver… Sa musique, on la perçoit, on la ressent, et on l’écoute une fois de plus, attentif… A retenir aussi les bons moments avec ses amis, ses longues heures passées avec eux au « Dick », leur bar crasseux qui leur est plus ou moins réservé pour parler de femmes, où plutôt de leurs ex-femmes qui les ont mis sur la paille en demandant le divorce et surtout en demandant des pensions alimentaires hors norme. Des gars brisés et cassés.

C’est glauque, c’est dur, verdâtre et violent. On vogue pleinement et profondément dans un milieu où drogue, sexe, délinquance et beuverie mènent le jeu, où les femmes n’ont pas beaucoup d’amour propre, mais plutôt l’amour vulgaire, canaille et inélégant. Mais aussi dans celui de la musique, de l’amitié, au milieu de gens paumés, travailleurs, laissés-pour-compte qui entretiennent tout de même avec force le respect, la solidarité, la fierté et l’honneur. Eric Miles Williamson sait nous décrire cette ville d’Oakland effacée par les lumières de San-Francisco, avec adresse et habilité. Ses décharges immondes où la pollution et les déchets se transforment en geysers de gaz pestilentiels et méphitiques. Ses rues remplies de merdes grouillantes d’asticots. Ses taches de sang et bout de crânes éparpillés sur le sol. Et surtout son ambiance, son climat, son atmosphère. La beauté se niche dans les détails, mais une beauté vue par des personnes comme T-Bird, et non les autres, les riches, les connards. Tout est relatif.

Laissez-vous surprendre et abasourdir par les paroles de T-Bird Murphy. Laissez-vous balader, emmener par les propos directs, francs et sans détours d’un type miséreux, perdu et enragé, mais aussi bon, juste et loyal! Pour ma part, je m’y suis complètement engouffré, comme hypnotisé, j’ai rapidement oublié la sensation de lire et je crois bien que je me suis retrouvé malgré moi dans cette cité. Mais je n’en suis pas sûr, peut-être était-ce juste un mauvais rêve. Quoi qu’il en soit, Bienvenue à Oakland.

Je vous livre quelques passages du récit, révélateurs.

« … Avec le jazz et l’impro, c’est différent. Suffit de suivre la pulsation qui te bat dans les couilles, tes fluides circulent et t’as ce truc en toi, ce truc tu ne ressens pas tant que tu ne joues pas, mais que tu captes dès que tu te mets à jouer, et que tu laisses échapper dans le bar. Jouer du jazz, c’est comme être bourré au dernier degré et baratiner sa nana préférée pour la convaincre qu’on est vraiment sexy… et y arriver! Mais par rapport aux musiciens réglo, ces soldats sapés en costard-noeud pap, ouais, par rapport à ces types-là, je suis un gros nul. »

 

« … Il l’a descendue? Putain, il est temps! Mais je croyais que vous étiez ses potes? Payez la caution et faites-le sortir! Quand on descend une salope dans son genre, surtout une salope d’ex, la caution va pas chercher plus loin que dans les deux mille. Les juges comprennent ce qu’un homme est obligé de faire parfois. »

 

« … Si, la merde qu’on voit, les étrangers considèrent qu’elle est laide, c’est parce qu’ils sont habitués à la merde que, eux, ils trouvent belle et qu’ils ne perçoivent pas combien leur monde peut nous paraître immonde à nous, la laideur de leur petit personnel et de leurs bagnoles européennes ou japonaises hautement antiseptiques qu’aucune tache de sperme ni de honte ne corrompt jamais, la laideur de leurs briques si parfaitement alignées, de leur carrelage récuré, de leurs jardiniers, de leurs plombiers, tous ces gens qui travaillent pour eux – nous. Mais nous, parce qu’on est nous, on voit des trucs magnifiques qu’ils ne voient pas. La beauté d’une haie bien taillée ou d’une rampe d’accès au béton bien coulé, la beauté d’un petit ange mexicain en cloque à treize ans, obèse et triste, la beauté d’un immeuble correctement démoli. Nous qui vivons dans la laideur, on connaît la beauté – et elle n’a rien à voir avec ce qu’on trouve dans les magazines branchés des salles d’attente des toubibs ou des avocats spécialisés dans les divorces. »

 

Il parle d’Oakland.  « … C’est beau, des dobermans et des pit-bulls en train de réduire en charpie des mômes qui ont sauté le mur d’une propriété privée; c’est beau, le sang répandu sur le trottoir, les mares de vomi et les bouts de chair dans les ruelles, à l’arrière des bars. La beauté des merdes de chien qu’on dirait vivantes tant elles grouillent d’asticots, je la vois, ces paquets de merde couvent comme des gros tas d’intentions insondables qui se tortillent en quête d’une improbable raison primale. Je la vois, la beauté de ces adolescents lubriques, dans la rue, qui se passent la langue sur les lèvres en jetant des regards perçants aux jeunes appelés du Midwest, ces pervers qui débarquent de leurs petites villes de merde, et la beauté des vieilles qui relèvent leur jupe pour pisser dans le caniveau, elles font ça avec le sourire, comme il faut. Y a rien de plus beau que la volonté de vivre lorsqu’on baigne dans le désespoir absolu. L’Espoir, c’est pour les connards. Il n’y a que les grandes âmes pour comprendre la beauté du désespoir. »

 

Il parle des employeurs. « … Qu’est ce qu’on dit, quand on pense aux maladies mortelles qu’on se chope en bossant dans tes magasins et tes usines, sur tes chantiers de construction? Tu crois qu’on se dit quoi, tard le soir, après avoir picolé toutes nos canettes de Busch, quand on repense que tu nous fais payer notre place de parking dans tes usines hors normes avec des latrines à la place de vraie toilettes? Tu crois qu’on pense à quoi, quand on signe nos chèques de pension alimentaire destinés à tes filles qui nous épousent parce qu’on est de vrais hommes, mais qui nous plaquent en demandant le divorce parce que, ce qu’elles veulent, c’est une fiotte dans ton genre? A quoi on pense quand on tond ta pelouse, qu’on débouche tes chiottes, qu’on passe devant tes baraques aux garages plus grands que nos apparts ou nos caravanes, quand on voit que tes filles portent un appareil dentaire, alors que les dents pourries des nôtres leur donnent des airs de sorcières à même pas seize ans? Qu’est ce que tu crois qu’on imagine quand on entend aux infos que ta maison sur les collines a été emportée par un glissement de terrain et que tu as perdu ton mobilier hors de prix? Tu crois peut-être qu’on a pitié de toi? Qu’on espère que, toi et ta petite famille, vous vous porterez bien et que tout ira pour le mieux? N’oublie pas, Mr ou Mrs Tout-Confort, que je suis en train d’écrire dans mon garage de Warrensburg, dans le trou du cul du Missouri. … J’ai fini dans ce trou parce j’étais un mec bien et que je n’avais pas encore compris la leçon que m’avait enseignée FatDaddy Slattern. Si je vis dans ce trou, c’est à cause de types comme toi. Alors, tu sais quoi? Je ne t’aime pas. »

« Bienvenue à Oakland », d’Eric Miles Williamson

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