« Au revoir là-haut », de Pierre Lemaitre — un combat après la guerre

Critique de le 14 octobre 2013

Je n‘ai pas aimé...Plutôt déçu...Intéressant...Très bon livre !A lire absolument ! (9 votes, moyenne: 4,33 / 5)
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Histoire Roman

Pierre Lemaitre quitte – momentanément? – l’univers du thriller pour nous emmener quelques dizaines d’années en arrière, à l’époque désastreuse de la 1ère guerre mondiale. L’auteur nous fait vivre la fin de cette étape douloureuse de l’Histoire, mais aussi les années qui suivent ce conflit militaire. Une période encore une fois douloureuse pour les soldats survivants qui sont, pour la plupart, livrés à eux-mêmes. Une sorte de deuxième guerre débute pour eux, une nouvelle bataille à livrer pour survivre et être reconnus. Les héros de la guerre sont morts; les survivants, eux, « on » ne sait pas trop quoi en faire.

Pierre Lemaitre quitte son genre de prédilection pour nous conter une histoire qui sort de l’Histoire. Et il le fait plutôt bien.

En effet… Quelle efficacité dans cette écriture! En quelques lignes, nous sommes rapidement au front, lors de cette Grande Guerre qui ne fait pas de cadeau. Facile vous allez me dire? Je ne sais pas. Par contre – et surtout! – nous nous retrouvons rapidement dans l’ambiance et là, c’est déjà moins facile. Pierre Lemaitre nous conte son histoire en nous prenant à témoins, nous parle franchement et parfois intimement. La narration est directe, sans détour, émouvante et efficace encore une fois.

Les mots tombent tels des obus en s’écrasant sur nous en nous barbouillant d’encre rouge; les phrases nous arrivent comme des rafales en pleine figure, en nous déchiquetant, et les pages se trouent sous les balles et se tournent à chaque fois sur un constat accablant; les blessures, la douleur et la mort. Il ne nous resterait plus qu’à fermer un peu le livre pour nous constituer une tranchée et ainsi nous protéger. Mais nous ne le ferons pas.

Le sujet en lui-même, bien évidemment, tend à transmettre pas mal d’émotion; mais l’auteur, avec son coup de patte, pour ne pas dire son coup de plume, accentue davantage cette émotion.

Les personnages que nous rencontrons et avec qui nous faisons connaissance sous des pluies d’obus et des rafales de mitrailleuses sont décrits d’une manière remarquable. Nous nous sentons vite impliqués mais aussi liés à ces soldats avec qui – nous le savons déjà – nous allons passer pas mal de temps. Surtout trois d’entre eux…

L’auteur sait trouver les mots pour transmettre aux lecteurs des ressentis tels que la douleur, l’horreur et l’absurdité de la guerre telle qu’elle est livrée, tout ceci avec simplicité, mais en profondeur et avec beaucoup d’émotion encore une fois. Mais aussi, il sait nous parler avec pertinence de l’après-guerre, période sombre qui n’est point plus glorieuse que la guerre en elle-même.

Novembre 1918. Arpenter les tranchées et grimper les échafauds, c’est bientôt de l’histoire ancienne pour ces millions de soldats; cette guerre dite totale est en train de se terminer, l’armistice semble proche. Alors que quelques officiers veulent encore gagner quelques dizaines de mètres de terrain, la plupart des soldats, quant à eux, attendent impatiemment la fin de cette boucherie.

Pour le jeune soldat Albert Maillard, c’est pareil; la guerre, il la souhaite derrière lui. Ce jeune homme, petit comptable dans une banque, – c’est sa mère qui le voulait! – arpente les dernières lignes au front auprès de ses camarades qui tombent comme des mouches; comme des millions avant eux… Rester debout, ne pas tomber, rester en vie, ne pas flancher avant la fin; voilà tout ce qu’il souhaite. Pour revoir sa Cécile, entre autre, évidemment…

Mais à cause d’un traitre dans les rangs, un officier lâche et égoïste qui ne pense qu’à se démarquer, pousser des coudes et prendre davantage de grade, Albert Maillard va se retrouver entre la vie et la mort sur le champ de bataille, ou plutôt en dessous…

Quant au soldat Edouard Pericourt, « s’en tirant » avec une jambe déchiquetée et la moitié du visage arraché, deviendra son sauveur sur le champ de bataille. Albert lui doit la vie mais, bien malgré lui, il rendra celle d’Edouard insupportable; une furieuse et longue agonie perpétuelle.

Edouard Pericourt; une grande perche de bonne famille, dessinateur hors pair, qui a toujours eu de la chance avant la guerre, et peut-être même durant la guerre finalement, il est vivant! Quoi que… Edouard; un homme qui, déjà enfant, aimait choquer, provoquer, surtout par ses dessins scabreux qui mettaient en positions délicates certains professeurs de l’institut. Imaginez par exemple la sodomie de Sainte-Clothilde par l’Evêque de Reims; cela pouvait bien choquer et vexer quelques personnes à l’époque! Pourquoi le faisait-il? Il y a toujours des raisons de se faire remarquer, c’est certain. Peut-être la faute d’un père qui n’a jamais rien vu de bon en son fils?

Les deux hommes vont se lier d’amitié. L’un a sauvé la vie de l’autre, l’autre va s’occuper de son copain qui pourrit dans un hôpital militaire, attendant son transfert qui ne vient pas. Un subterfuge va être organisé par ces deux hommes pour des raisons bien précises, pour pouvoir enfin regagner la vie civile. Un bel exemple de camaraderie.

Edouard, qui survit avec une partie du visage en moins, transmettra un certain malaise aux rares personnes qu’il rencontrera, même peut-être aux lecteurs que nous sommes. Heureusement qu’il y aura cette petite fille de 11 ans qu’il va croiser sur son chemin, une enfant qui arrivera peut-être à voir aux travers de son handicape, au delà de son visage monstrueux, et à voir directement dans son âme.

Alors que certains exploitent à merveille les durs bilans de la guerre, comme le commerce de cercueils, par exemple, d’autres se saignent pour pouvoir survivre – encore! – dans un Paris qui n’a pas grand chose à offrir, et surtout pas aux soldats démobilisés. Albert et Eugène en font évidemment partie.

Edouard, défoncé à la morphine pour combattre la douleur et faire le deuil d’un visage qui n’est plus vraiment là, aura le temps de cogiter sur un avenir qui n’est plus vraiment là non plus. Intelligent, artiste dans l’âme, il va se lancer dans un projet fou, quasi irréalisable et très risqué. Son ami Albert Maillard, bien plus terre à terre et bien moins rêveur, aura du mal à cautionner cette entreprise. Lui, c’est plutôt l’esprit de vengeance, face à l’injustice, qui l’anime.

Finalement les deux hommes vont tout de même entreprendre ce projet fou, qui va réunir leurs buts respectifs; la vengeance de l’un et la revanche de l’autre. Un puissant « pied de nez » à l’Etat, à la guerre, à la société et à la famille. Je ne vous en dis pas plus, mis à part que c’est fin, brillant, grand et impressionnant.

Pierre Lemaitre nous présente très concrètement deux extrêmes; les soldats vivants ou survivants – les héros! – qui sont qu’une vulgaire merde (pardon) dans la société, et les riches qui sont… riches. Nous retrouvons également ce fameux traître dont j’ai parlé au début qui, évidemment, a choisi son camp, notamment en épousant la fille d’un richissime et puissant personnage. Pour ne pas s’arrêter en si bon chemin, il va monter un commerce, ou plutôt un trafic issu de la guerre – inhumation de cadavres -, en utilisant tout ce qu’il y a de plus ignoble, à savoir un manque de respect total pour les morts de la guerre. Un grand coup de pied au cul à la mémoire de ces hommes, à leurs âmes et à leur famille.

Un salopard d’opportuniste qui sait tirer les bonnes ficèles, celles du profit, en faisant abstraction du respect, de la déférence et de la morale. Exhumation de cadavres sur le champ de bataille, pour ensuite les inhumés avec décence, c’est noble, oui. Mais lorsque vous verrez comment… Calculateur, manipulateur, sans vergogne, il mettra même les représentants de l’Etat dans un certain embarras, au pied du mur. Copinage, favoritisme, népotisme; les représentants de l’Etat faisaient déjà du bon travail à l’époque…

Dans ce roman noir et cruel, l’auteur nous présente des interactions très fortes entre divers personnages, à l’image d’un père et de son fils. Rejet, honte, déception, provocation, guerre familiale. Quel est l’élément déclencheur, de qui provient-il; chaque action provoque une réaction qui elle-même amène une nouvelle action… Pas facile les liens familiaux, encore plus à cette époque me semble-t-il! Finalement d’autres sentiments vont naître; regret, remord, repenti. Une grande tragédie dans cet après-guerre…

Par esprit de remord, peut-on corriger ce qui ne peut quasiment pas l’être? Même avec tout l’argent du monde, peut-on rattraper ce que l’on n’a pas donné en amour pour un fils? N’est-il jamais trop tard pour transmettre son respect et donner son amour? Même lorsque la personne est morte…

Pierre Lemaitre développe bien cet aspect-là, soit les émotions émises et reçues par les divers personnages qui composent ce récit. C’est relativement puissant, bien amené, touchant et parfois très cruel. Si l’injustice vous semble cruelle, alors oui, ce roman l’est énormément.

Constat dégouté face à cette corruption, à ce manque de respect total pour les morts qui sont tombés au combat, à leur famille; manque de respect pour les vivants qui ont combattu corps et âmes; l’argent, la puissance, la reconnaissance, certains sont prêts à tout, à se transformer en une vulgaire fiente pour arriver à leurs fins. Pierre Lemaitre ne va pas par quatre chemins pour nous l’expliquer. Et l’Etat dans tout cela? Et bien l’Etat a les oreilles sensibles, il ne veut pas que trop de choses s’ébruite. On peut toujours trouver des arrangements, entre « bonnes » et « grandes » personnes! Navrant…

Heureusement qu’il y ait encore des fonctionnaires intègres, à l’image de cet homme pouilleux qui arpente les placards dans lesquels l’Etat l’a placé… Ces placards, il va les ouvrir à chaque fois pour aller voir un peu ce qui se trame sur les anciens champs de batailles et dans les cimetières, lors de cette période où les cadavres ont grandement besoin d’un homme comme lui!

Pierre Lemaître nous l’explique à la fin de son roman. Certaines choses sont tout à fait vraies, d’autres plausibles, certaines un peu moins. Quoiqu’il en soit cette guerre, quant à elle, elle a bel et bien existée et une pensée de ma part se dirige en guise d’hommage vers ces soldats morts au combat.

Bonne lecture.

« Au revoir là-haut », de Pierre Lemaitre — un combat après la guerre

Un commentaire pour “« Au revoir là-haut », de Pierre Lemaitre — un combat après la guerre”

  1. avatar Lemaitre dit :

    Merci…

    Pierre Lemaitre

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