Voici un livre que je relis pour la deuxième fois en moins d’un an, tellement il est passionnant et dense en réflexions. En effet, ce sujet fondamental de l’ »intervention humanitaire » est extrêmement bien traité par cet auteur, de manière complète et approfondie à la fois. Il utilise dans cet ouvrage un nombre considérable de thèses d’auteurs qui lui permettent d’en déduire ses propres démonstrations et conclusions.
Cette très délicate problématique de l’ »intervention humanitaire » est parfaitement bien synthétisée par Monique Canto-Sperber et Geoffrey Robertson (page 1) :
« Tuer des civils pour sauver des civils. » (Note n°1 : M. Canto-Sperber [2010], p. 108.)
« (…) Quand peut-il être juste de déchaîner la terreur contre les terroristes, de bombarder au nom des droits de l’homme, de tuer pour arrêter des crimes contre l’humanité ? ». (Note n°2 : G. Robertson [2006], p. 469.).
Dans cet ouvrage, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer ne traite que du sujet de l’ »intervention humanitaire », c’est à dire de l’intervention militaire et non des O.N.G. (Organisations non gouvernementales), qui, elles, interviennent dans le domaine de l’assistance humanitaire en nourriture, médicaments, etc., pour venir en aide aux victimes.
Ce sujet essentiel, qui a évolué au fil du temps, relève de différentes appellations suivant : les lieux, les contextes et les époques : « intervention d’humanité » au XIXème siècle ; l’ »intervention humanitaire » (humanitarian intervention) dans la tradition anglophone ; en France, le « droit ou devoir d’ingérence » ; et depuis le début du 21ème siècle, la « responsabilité de protéger ou R2P »
Ce puissant ouvrage tourne donc autour de cette complexe, paradoxale et finalement presque insurmontable question : des États peuvent-ils tuer au nom de l’humanité ?
En premier lieu, c’est donc la Souveraineté Nationale qui doit être redéfinie. Elle ne peut plus s’appliquer à notre époque de manière absolue comme ce fut le cas dans le passé, mais uniquement en tant que Souveraineté limitée et conditionnelle. D’ailleurs, très récemment, en 2011, Kofi Annan (Secrétaire Général des Nations Unies entre 1997 et 2006) écrivait à ce sujet (page 4) :
« La souveraineté étatique n’est désormais plus vue comme un bien absolu en soi mais comme un instrument – certes très important – qui n’a de la valeur qu’en tant qu’il est utilisé pour protéger la vie humaine, garantir le respect de la dignité humaine et faire respecter les droits humains ». (Note n°4 : K. Annan [2011], p. 381.).
(…) « La souveraineté ne peut être un bouclier pour protéger ceux qui violent les droits en toute impunité, poursuit Annan. Quant un État échoue à protéger sa population, le communauté internationale doit intervenir et ceux qui sont menacés de génocide, nettoyage ethnique, crimes de guerre ou crimes contre l’humanité ont le droit de compter sur cette aide. » (Note n°6 : K. Annan [2011], p. 382.).
L’aspect fondamental de l’ »intervention humanitaire » réside dans le fait qu’intervenir OU NON, peut avoir des conséquences humaines extrêmement importantes. Sur cette question cruciale et complexe de l’ »intervention humanitaire » qui, par définition, relève dans chaque cas, d’une situation désespérée, l’objectif ne consiste donc pas à choisir la meilleure solution, mais plutôt de choisir…, le moindre mal…
Plus encore que pour d’autres problématiques, sur ce sujet en particulier, le manichéisme n’a pas de raison d’être étant donné qu’il n’existe jamais de « bonne solution ».
Dans ces cas complexes, seul un jugement à la fois réaliste et prudent peut proposer l’attitude la mieux adaptée à la situation. Car comme écrivait Raymond Aron (page 15) :
« Ce n’est jamais la lutte entre le bien et le mal, disait aussi Aron, c’est le préférable contre le détestable. Il en est toujours ainsi, en particulier en politique étrangère. » (Note n°4 : R. Aron [1981], p. 289-290.).
Une « intervention humanitaire » ne peut être déclenchée que s’il est prouvé qu’un danger imminent et incommensurable, menace une population. À ce moment-là, dans cette situation désespérée, la priorité doit être accordée aux Droits de l’Homme contre une Souveraineté Étatique, qu’elle soit à caractère : Autocratique, Dictatoriale ou Totalitaire.
D’autre part, pour qu’il y ait intervention, il faut systématiquement obtenir le consentement réel des victimes.
Dans le même temps, dès le début de son ouvrage, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, nous expose le fait qu’une « intervention humanitaire » purement altruiste n’existe pas. En effet, un État n’intervient jamais de manière totalement désintéressée.
Il est grand temps, maintenant, de présenter l’Organisme qui décide ou non des « interventions humanitaires », même si nous verrons qu’il existe également des interventions indépendantes d’États qui sont, par définition…, illégales !
Il s’agit de l’Organisation des Nations Unies (O.N.U.), fondée après la Seconde Guerre Mondiale en 1945 et représentée par ses 193 États, dont seulement cinq y siègent de manière permanente : la France, le Royaume-Uni, la Chine, la Russie et les États-Unis. Ces cinq États possèdent un droit de veto. L’organe de décision de l’O.N.U. est le Conseil de Sécurité (C.S.).
L’O.N.U. est issue de la Société des Nations (S.D.N.) fondée, elle, en 1910.
Après cette longue introduction permettant de présenter le sujet et quelques-unes de ses innombrables problématiques (il ne peut s’agir dans ce commentaire de livre que d’un survol sur un sujet aussi complexe), rentrons maintenant dans le vif du sujet.
D’abord, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer dresse un rappel historique du processus de l’ »intervention humanitaire ».
L’auteur remonte donc jusqu’à l’Antiquité pour retrouver des exemples d’ »interventions humanitaires », soit 2 500 avant J.-C.. À l’inverse de notre situation actuelle, à cette époque où les territoires n’avaient pas de frontières naturelles fixes et clairement définies, la plupart du temps, l’état normal permanent était celui de la guerre. Cet état de guerre permanent était interrompu ponctuellement par des périodes de paix provisoires. Les interventions militaires relevaient alors plus d’expéditions punitives pour châtier les tyrans, que de la préservation du concept encore inexistant des Droits de l’Homme. De plus, ces représentants de Nations belligérantes revendiquaient souvent leurs interventions au nom d’une mission Céleste (Divine).
Ces interventions relevaient donc plus souvent de raisons politiques, égoïstes, hégémoniques, voire esclavagistes…, qu’humanitaires.
C’est au XIXe siècle que les termes d’ »intervention humanitaire » et de « droit d’ingérence » apparurent. Il y avait et il y a toujours, deux camps : celui des interventionnistes et des anti-interventionnistes. Les premiers mettent en avant les Droits Humains et les seconds, le principe d’indépendance et de Souveraineté des États. Mais comme nous l’avons précisé dans l’introduction : ce débat ne peut pas être aussi manichéen, puisqu’étant trop complexe car relevant de…, l’Humanité.
Au début du XXe siècle, suite aux colonisations des siècles précédents, la délicate question de l’ »intervention humanitaire », posait le risque du soupçon de la volonté Civilisatrice, voire Colonisatrice.
Nous avons également déjà évoqué la fait qu’une « intervention humanitaire » ne peut jamais être totalement désintéressée. C’est ce que nous montre Jean-Baptiste Jeangène Vilmer à travers différents exemples de la fin du XIXe et début du XXe siècle. D’ailleurs pour l’auteur, il faut savoir faire preuve de pragmatisme et surtout de réalisme, car : « intervention humanitaire » et intérêts politiques ne sont pas forcément antagonistes, à partir du moment où les intérêts politiques ne nuisent pas à l’objectif essentiel qui doit rester : humanitaire.
L’avantage de l’intervention collective d’États qui interviennent à travers l’O.N.U., permet de limiter le risque de mise en avant des intérêts individuels. L’inconvénient reste celui du risque de la lenteur des prises de décision et d’action.
Mais comme précisé dans l’introduction, il existe également des interventions hors cadre onusien, notamment, et ce fut souvent le cas dans les années 1970-1980 (page 131) :
« Parce que l’intervention à Stanleyville dans les années 1960, dans le cadre onusien, ne se passe pas très bien, on assiste les décennies suivantes à une phase de non-intervention onusienne : celles de l’Inde au Bangladesh (1971), du Viêt-nam au Cambodge et de la Tanzanie en Ouganda (1979) se font en dehors du cadre onusien. En outre, les intervenants, qui avaient de bonnes raisons d’invoquer des motifs humanitaires, se gardent bien de le faire et invoquent plutôt des raisons plus « légitimes » au regard du droit international (menace contre la paix et la sécurité).
La doctrine interventionniste revient timidement à la fin des années 1980 – y compris, en France, avec l’élaboration du droit d’ingérence, que nous examinerons dans le chapitre suivant. »
Avec la fin de la Guerre-Froide : la dislocation de l’U.R.S.S et du bloc de l’Est ; l’accroissement de l’assistance humanitaire et des Droits de l’Homme ; la Démocratisation dans certains pays du Sud et de l’explosion de l’ »effet CNN », c’est-à-dire le développement de l’information dans le monde et directement dans les foyers (télévision, Radio, presse écrite, puis par la suite Internet), les années 1990 reprirent la ligne interventionniste onusienne (pages 133 et 134) :
« L’ensemble de ces facteurs explique que l’on soit passé d’une société internationale plutôt hostile à l’intervention à un climat plus ouvert et favorable ayant conduit à ces années 1990 qui sont unanimement considérées comme une période faste pour l’interventionnisme, avec les exemples du Liberia (1990-1997), de l’Irak du nord (1991), de l’ex-Yougoslavie (1992), de la Somalie (1992-1993), du Rwanda et du Zaïre oriental (1994-1996), d’Haïti (1994-1997), du Sierra Leone (1997), du Kosovo (1999) et du Timor oriental (1999). Ne serait-ce que dans le cadre onusien, la force militaire a été utilisée 56 fois entre 1990 et 2000, contre 22 fois entre 1946 et 1990 (note n°1 : C.Ku et H. Jacobson [2003], p.17) : l’accélération est réelle. Mais si la rhétorique évolue, le droit n’avance pas pour autant : aucune de ces interventions n’a été autorisée par le CS sur la seule base du motif humanitaire. »
Après une timide reprise interventionniste dans la première partie de la décennie 1990, celle-ci augmenta toujours avec prudence (doctrine zéro mort), au Kosovo et au Timor oriental (1999) dans la seconde moitié des années 1990, notamment à cause des tragédies que furent le Rwanda (1994) et la Bosnie (1992-1995).
En 2001, le concept d’ »intervention humanitaire » fut remplacé par celui de « responsabilité de protéger ou (R2P) ». Dans la première décennie du 21ème siècle, l’interventionnisme humanitaire fut à nouveau suspendu, au profit des préoccupations sécuritaires liées au Terrorisme Islamiste. D’ailleurs, les États hésitèrent à intervenir au Darfour (2004). Puis l’interventionnisme reprit son cours avec celle, récente, de la Libye en 2011, afin d’aider la population à destituer Mouammar Kadhafi.
En ce qui concerne l’intervention en Irak, en 2003, elle ne relève absolument pas d’une « intervention humanitaire ». L’illégalité de cette intervention par les États-Unis a même affaibli la crédibilité et la légitimité du Conseil de Sécurité (C.S.) de l’O.N.U.. Le « syndrome Irakien » est souvent évoqué face à la passivité du drame au Darfour. Condoleezza Rice, alors Secrétaire d’État des États-Unis, déclara même au Président Bush (page 140) :
« Je ne pense pas que vous puissiez envahir un autre pays musulman durant cette administration, même pour la meilleure des raisons ».
Suite au « Printemps Arabe » de 2011, l’interventionnisme humanitaire fut donc remis à l’ordre du jour en ce qui concerna la Libye. En effet, suite au bombardement des manifestants à Tripoli le 21 février 2011, le Conseil de Sécurité (C.S.) estima, à travers sa résolution 1970 du 26 février : « que les attaques systématiques et généralisées » commises « contre la population civile pourraient constituer des crimes contre l’humanité ».
Cette fois-ci le Conseil de Sécurité (C.S.) saisit beaucoup plus rapidement que pour le Darfour (un délai de six mois !), en seulement 10 jours, la Cour Pénale Internationale (C.P.I.). Et deux semaines et demi plus tard, le C.S. vota la résolution 1973 autorisant les États membres demandeurs : « à prendre toutes les mesures nécessaires […] pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi, tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen ». (Note n°1, page 142 : UN Doc. S/RES/1973 (17 mars 2011), art. 4.).
Au Conseil de Sécurité, contrairement à la « tradition » non-interventionniste de la Chine et de la Russie, il n’y eut aucun veto, ni aucun vote contre, seulement cinq abstentions. L’absence de veto pour s’opposer à l’intervention s’explique principalement par le soutien de la Ligue Arabe et le fait que trois États Africains membres du C.S. (Nigeria, Gabon et Afrique du Sud) ont voté pour cette résolution 1973.
Pour évaluer la menace, le C.S. se basa essentiellement sur les propres propos clairement criminogènes de Kadhafi, n’hésitant pas à annoncer publiquement que… (page 143) :
« (…) des officiers ont été déployés dans toutes les tribus et régions pour purifier toutes les décisions de ces cafards », que « tout Libyen qui prendra les armes contre la Libye sera exécuté » (note n°3 : ABC (Australie), 23 février 2011) et, le jour même de la résolution du CS, appelle ses supporters à « nettoyer la ville de Benghazi » (note n°4 : Al Jazeera, Libya Live Blog, 17 mars 2011, 9:01pm). Il est crédible, étant donné son bilan en matière de violations des droits de l’homme depuis des décennies et le fait que les violences auraient déjà fait entre 1 000 et 10 000 victimes en quelques semaines (note n°5 : Estimations de l’ONU et de la CPI. Sur la difficulté de déterminer le nombre de victimes, voir J. Downie [2011]). »
Le contexte gravissime de la Libye semblait donc bien correspondre aux critères d’un « intervention humanitaire ».
En terme de sémantique, logiquement, l’expression « intervention humanitaire » paraît contradictoire dans ses termes. En effet, une intervention signifie qu’elle est militaire et semble donc s’opposer au terme humanitaire. Or, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer nous explique que bien souvent, les Organisations non gouvernementales (O.N.G.) sont régulièrement protégées par les militaires pour pouvoir accomplir leurs missions humanitaires (apporter de la nourriture, des soins, des reconstructions, etc.). Et même, plus que cela, il arrive souvent que les militaires eux-mêmes participent à des opérations civilo-militaires, comme : repeindre des classes de classe, creuser des puits, construire des écoles, afin de faire accepter les militaires dans ces zones dévastées par des conflits.
C’est encore Kofi Annan qui, au début du 21ème siècle, peaufina le concept d’ »intervention humanitaire », pour celui de « responsabilité d’agir » (pages 176 et 177) :
« En 2000, Annan note, d’une part, que : « l’intervention humanitaire est une question délicate sur le plan politique et ne se prête pas à des réponses faciles. Toutefois, ce qui est certain, c’est qu’aucun principe juridique – pas même celui de la souveraineté – ne saurait excuser des crimes contre l’humanité » (note n°5 : K. Annan [2000], §219) et, d’autre part, qu’ : « il s’agit au fond d’un problème de responsabilité : en cas de violations massives des droits de l’homme universellement acceptées, nous avons la responsabilité d’agir » (note n°6 : Rapport du Secrétaire général sur l’activité de l’Organisation, 2000, 55e session, suppl. n°1, UN Doc. A/55/1, §37, p. 5). Au tournant du millénaire, il articule clairement la question en montrant les limites du vocable classique de l’intervention humanitaire et l’intérêt d’une reformulation en termes de responsabilité d’agir.
Pour répondre à ce défi posé par Annan, le gouvernement canadien met sur pied, en septembre 2000, une Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États (CIISE), qui dépose un an plus tard son rapport intitulé, La responsabilité de protéger (responsibility to protect, abrégé R2P). Renvoyant dos à dos les expressions classiques d’ »intervention humanitaire » et de « droit d’intervention », cette dernière étant même qualifiée de dépassée et inutile, la Commission préfère parler d’une « responsabilité de protéger » (note n°1 : CIISE [2001], §2.4, p. 11). Quelle différence cela fait-il ?
« Premièrement, toute formulation en terme de droit (d’intervention, d’ingérence) est davantage tournée vers l’État intervenant que vers les victimes de l’État cible. La R2P, au contraire, « implique une évaluation des enjeux du point de vue de ceux qui demandent ou nécessitent un soutien, et non de ceux qui envisagent éventuellement d’intervenir » (note n°2 : Ibid., §2.29, p. 17).
Deuxièmement, parler d’intervention ou d’ingérence revient à se concentrer sur l’acte lui-même, donc négliger ce qui le précède et ce qui lui succède, c’est-à-dire la prévention et la reconstruction – qui jouent pourtant un rôle fondamental dans le succès ou l’échec de l’intervention elle-même. La R2P est « non seulement la responsabilité de réagir à une catastrophe humaine effective ou redoutée, mais aussi la responsabilité de la prévenir et la responsabilité de reconstruire après l’évènement » (note n°3 : Ibid., §2.32, p. 18.). Son extension n’est donc pas la même : elle est plus large que l’intervention, qu’elle inclut comme l’une seulement des trois étapes.
Troisièmement, la formulation traditionnelle est basée sur une confrontation entre intervention et souveraineté, tandis que la R2P est conçue davantage comme « un concept-lien, qui jette un pont » entre eux (note n°1 : Ibid., §2.29, p. 18).
Lors du Sommet mondial des 14-16 septembre 2005, Kofi Annan mit la R2P à l’ordre du jour (page 178) :
« Le principe figure aux articles 138-139 du document final de ce Sommet, qui affirment notamment que : « c’est à chaque État qu’il incombe de protéger ses populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique, et des crimes contre l’humanité » (§138) et qu’ : « il incombe également à la communauté internationale, dans le cadre de l’ONU, de mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, […] afin d’aider à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Dans ce contexte, nous sommes prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du CS, […] lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations » (§139) (Note n°4 : UN Doc. A/60/L.1 (20 septembre 2005.) »
Le concept de R2P a, depuis, séduit la plupart des États membres de l’O.N.U. (pages 179 et 180) :
« Aujourd’hui, le concept est victime de sa popularité et la R2P est citée à tort et à travers : pour intervenir en Irak, mais aussi en Corée du Nord (note n° 7 : V. Havel, K. Bondevik et E. Wiesel [2006]) et en Birmanie ; sauver des biens culturels nationaux, ceux-là mêmes que les États-UNis ont échoué à protéger dans le musée de Bagdad (note n°8 : W. sandholtz [2005]. Voir aussi R. Thakur [2006 a], p. 269, n.12) ; justifier la législation liberticide contre le terrorisme (note n°1 : J. Alvarez [2008], p. 277) ; intervenir préventivement afin d’éviter que des États n’acquièrent des armes de destruction massive (note n°2 : National Security Council, The national Security strategy of the United States of America, septembre 2002 ; L. Feinstein et A.-M. Slaughter [2004]) ; promouvoir la démocratie ou encore accuser le Canada d’avoir échoué dans sa « responsabilité de protéger » ses citoyens que les Américains ont extradé dans des pays où ils ont été torturés (note n°3 : C. Forcese [2006]). »
Mais alors qu’apporte comme spécificités la R2P par rapport aux autres concepts d’ »intervention humanitaire » ? (pages 186, 193 et 194) :
« Contrairement à un préjugé répandu, le CS n’a pas attendu la R2P pour justifier des interventions militaires par des raisons humanitaires. Et l’intervention en Libye n’est pas la première de ce type (note n°2 : Contrairement à ce qu’affirme, par exemple, Rony Brauman (R. Brauman et B.H. Lévy [2001]). Il l’a fait en Somalie (rés. 794 de 1992), à Haïti (rés. 940 de 1994), au Rwanda (rés. 929 de 1994), en Bosnie-Herzégovine (rés. 836 de 1993, 1031 de 1995, 1088 de 1996), en Albanie (rés. 1101 de 1997), et au Timor oriental (rés. 1264 de 1999) – autorisant à chaque fois l’utilisation de « tous les moyens nécessaires » pour permettre la livraison de l’assistance humanitaire ou garantir la mise en œuvre d’un cessez-le-feu ou d’un accord de paix. L’apparition du concept de R2P n’a de ce point de vue rien changé puisque la tendance « s’est dessinée il y a près de 20 ans » (note n°3 : O. Corten et B. Delcourt [2011]). Elle s’est également manifestée pour la Côte-d’Ivoire (rés. 1933 de 2010 et 1975 de 2011), où l’ONUCI et les forces françaises sont autorisées « à utiliser tous les moyens nécessaires » pour « assurer la protection des civils », et en Libye (rés. 1973 de 2011), dans les mêmes termes. On peut donc avoir du mal à distinguer ce que serait une réponse « avec R2P » à une crise humanitaire, d’une réponse « sans R2P » – et du même coup à voir la valeur ajoutée de la R2P (note n°4 : D. Chandler [2011], p. 23).
La résolution 1973 est toutefois originale pour une raison : c’est la première fois que le CS autorise une intervention militaire pour des raisons humanitaires sans le consentement d’un État fonctionnel (note n°5 : P. Williams [2011], p. 249, et A. Bellamy [2011b], p. 263). Dans les cas précédents, soit l’État était consentant, soit il n’y avait pas d’État, soit il n’était pas fonctionnel. Mais, d’un point de vue juridique, cela ne change rien puisque le consentement de l’État cible est indifférent à une résolution passée sous Chapitre VII (note n°6 : S. Chesterman [2011], p. 280).
(…) L’effet normatif de la R2P relève du « droit mou » (soft law). S’il faut reconnaître au concept le double mérite de rappeler aux États leurs obligations juridiques et de « catalyser la réforme et l’innovation de l’architecture internationale en matière de protection » (note n°3 : J. Welsh et M. Banda [2010], p. 214-215), il faut aussi souligner qu’il ne crée pas d’obligation nouvelle et reste soumis aux rapports de force qui caractérisent la société internationale. Son effet normatif, relativement faible, est bien résumé par l’ambassadeur du Brésil à l’ONU en 2009 : la R2P : « n’est pas un principe à proprement parler, encore moins une nouvelle disposition juridique. Elle est plutôt un appel politique puissant à tous les États, pour qu’ils respectent les obligations juridiques déjà inscrites dans la Charte, les conventions des droits de l’homme […] et les autres instruments pertinents » (note n°4 : Brazil, Plenary Meeting of the General Assembly on the R2P, 23 juillet 2009).
La R2P n’est donc pas autre chose qu’un appel politique – Luck parle d’un « projet politique » (note n°5 : E. Luck [2011], p. 393) – et, d’un point de vue réaliste, on peut en déduire au moins deux faiblesses. La première tient à sa nature d’appel : elle présume que la pression morale a la capacité de changer le comportement des États. Une « croyance idéaliste » selon Hehir, qui rappelle que les nombreux appels du même genre depuis 1945 – en particulier les vibrants « plus jamais ça ! » – « n’ont pas été d’une grande utilité en pratique. Cela ne signifie pas que les États sont immunisés contre les appels émotifs mais plutôt que les décisions en matière d’emploi de la force pour défendre des non-nationaux à l’étranger seront invariablement et dans une large mesure basés sur des questions d’intérêt national » (note n°1 : A. Hehir [2011], p. 95). C’est exact, mais les deux ne sont pas nécessairement incompatibles puisque, comme nous l’avons rappelé dans l’introduction, l’intérêt national inclut aussi l’image de soi, celle que l’on veut projeter sur la scène intérieure comme à l’extérieure. Et cette image, pour des raisons autant identitaires qu’instrumentales, peut intégrer la défense des droits de l’homme. Il ne s’agit pas, autrement dit, d’une « croyance idéaliste » : la pression morale a dans une certaine mesure la capacité de changer le comportement des États parce que les États comprennent qu’il est de plus en plus dans leur intérêt de paraître moraux.
La seconde faiblesse de cet appel politique tient à sa nature politique : la R2P dépend entièrement de la volonté politique des États – ce que ses promoteurs reconnaissent volontiers (note n°2 : G. Evans [2008 a], p. 223, et A Bellamy [2009], p. 119). Les décisions d’intervenir, admet Bellamy, « continueront d’être prises de manière ad hoc par des dirigeants politiques pesant les intérêts nationaux, les considérations juridiques, l’opinion mondiale, les coûts envisagés et les élans humanitaires – comme elles l’étaient avant l’apparition de la R2P » (note n°3 : A. Bellamy [2009], p. 3) (ce que réfute absolument son caractère soi-disant révolutionnaire et relativise à tout le moins son apport voire sa raison d’être). Il est alors « raisonnable d’avoir des réserves au sujet de la R2P si elle dépend fortement de quelque chose d’aussi éphémère que la volonté politique et l’inclination des hommes d’État » (note n°4 : A. Hehir [2011], p. 93). »
Par conséquent, la R2P n’engendre donc pas d’obligation d’intervenir, pas plus qu’elle n’implique pour les États, le devoir de rendre des comptes. Qui plus est, les victimes concernées ne peuvent pas obliger la Communauté Internationale à leur venir en aide. La « responsabilité de protéger » relève donc plus d’une responsabilité morale que juridique.
En fait, la « R2P » a été créée pour servir d’alternative au concept d’ »intervention humanitaire », à qui il était reproché de relever d’une connotation à caractère néo-colonialiste, en se référant aux « interventions d’humanité » du XIXe siècle. En effet, les motifs humanitaires furent parfois accompagnés d’abus dans le but de servir des intérêts nationaux.
Mais la « R2P » n’est pas exempt, elle non plus, d’être soumise aux mêmes risques d’abus (page 198) :
« (…) le fait qu’en droit elle ne peut s’exercer qu’avec l’autorisation du CS n’a pas empêché la Russie de l’invoquer pour justifier son invasion de la Géorgie en août 2008 et la France sa volonté d’utiliser la force pour acheminer l’aide humanitaire en Birmanie en mai de la même année. Deux épisodes qui, pour des raisons différentes – l’une de fait (la Géorgie ne commettait pas de génocide ni d’atrocités de masse en Ossétie du sud), l’autre d’applicabilité (la R2P ne s’applique pas aux catastrophes naturelles, comme un cyclone) – témoignent d’un détournement du principe. Non seulement la R2P n’évite pas les abus qu’elle prétend contourner mais, en tant que responsabilité ou devoir, elle a en outre un petit goût qui rappelle le « fardeau de l’homme blanc » de la colonisation (note n°2 : Entretien avec T. Pogge, Yale University, février 2009. Voir aussi M. Ayoob [2002], p. 84-85). »
Finalement, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer est amené à faire le constat que la « R2P » n’apporte pas grand chose de nouveau. Comme je le précise au début de ce commentaire : aucun de ces concepts n’est idéal, car la problématique elle-même est quasiment insurmontable. L’auteur en déduit donc, après une édifiante et puissante démonstration, qu’il reste préférable dans l’état actuel des travaux, de rester sur la terminologie du concept d’ »intervention humanitaire » ; plutôt que du « droit ou devoir d’ingérence » Français (relevant souvent plutôt de l’assistance) et de la « R2P ». Dans un soucis de clarification, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer propose même sa propre dénomination, même s’il reconnaît volontiers qu’elle ne sacrifie pas aux qualités intrinsèques d’un bon slogan : « intervention militaire justifiée par des raisons humanitaires ».
Sur le plan juridique, il semblerait même qu’il existe une contradiction entre l’ »intervention humanitaire » et les fondements de la Charte du Droit International Public (D.I.P.), (page 203) :
« En apparence, la question juridique est simple : l’intervention dont on parle est militaire, c’est-à-dire qu’elle implique un recours à la force. Or l’une des bases du DIP depuis 1945 est précisément l’interdiction du recours à la force (art. 2(4) de la Charte). Cette interdiction souffre deux exceptions : la légitime défense (art. 51) et les menaces à la paix (art. 41-42) dans le cadre des mécanismes de sécurité collective (chapitre VII). Or l’intervention humanitaire ne fait apparemment pas partie de ces deux cas de figure. Donc, l’interdiction du recours à la force s’applique et il faut conclure qu’une intervention militaire qui ne serait justifiée que par des raisons humanitaires serait illégale. »
Mais en réalité la situation est encore plus complexe que cela, car la Charte fait apparaître un double point de friction au sein même de ses principes fondateurs (page 204) :
« (…) l’interdiction du recours à la force, certes, mais aussi la promotion et le respect des droits de l’homme (art. 1). Les situations dont on parle ici mettent en évidence la tension entre les deux premiers articles de la Charte. D’où leur importance. Il y a encore d’autres paramètres à prendre en compte, dont les moyens utilisés, les conventions existantes et surtout la pratique des États et le droit coutumier. »
En revanche, ce qui est certain c’est que la Charte des Nations Unies interdit formellement l’ »intervention humanitaire » unilatérale d’un État, par le recours à la force. Mais se pose alors le problème de la défaillance ou du manque de réactivité de l’O.N.U. dans la prise de décision, lors d’une situation critique (pages 209 et 210) :
« C’est ce que pensent un grand nombre d’auteurs qui conçoivent l’intervention comme un palliatif exceptionnel et subsidiaire aux défauts de fonctionnement du système onusien, un « mécanisme d’urgence » qui se substitue à la Charte lorsque les insuffisances de l’ONU nous placent dans le dilemme, soit de ne rien faire du tout, soit d’intervenir unilatéralement (note n°4 : R. Baxter, in R. Lillich (ed.) [1973], p. 54 : R. Lillich (ed.) [1973], p. 61 ; [1967-1968] et [1979], p. 289 ; M. Reisman et M. McDougal [1973], p. 177, et W. Verwey [1998], p.203) .
Cette théorie est intuitive et paraît raisonnable, mais la jurisprudence de la CIJ (Cour Internationale de Justice) s’y oppose. Dans un arrêt de 1949, elle condamne le « prétendu droit d’intervention […] quelles que soient les déficiences présentes de l’organisation internationale » (note n°1 : CIJ, Affaire du détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), arrêt du 9 avril 1949, p. 35) et, dans un autre de 1986, elle déclare que le principe de non-emploi de la force est indépendant de ce que la Charte doit au droit des traités. La clausula rebus sic stantibus peut donc valablement être invoquée pour d’autres dispositions de la Charte, mais pas pour le non-emploi de la force (note n°2 : CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis), arrêt du 27 juin 1986, §188) ».
Dans ce débat déjà extrêmement complexe, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer fait également appel à la notion très controversée d’ »illégal mais légitime » ou « illégal mais moral » (pages 228 et 229) :
« La thèse du « illégal mais légitime » est exceptionnelle car le droit n’a pas l’habitude de faire appel à la morale : c’est même l’un des caractères de la modernité juridique (note n°6 : C. Douzinas [2007], p. 203). Le droit international est au contraire un espace dans lequel la moralité a encore un rôle. Et la thèse est étonnante, puisqu’elle revient finalement à appeler à la désobéissance internationale (note n°7 : K. Mills [1998], p. 138).
Pourquoi, dans ce cas, est-elle si populaire ? On peut penser à au moins trois explications. Premièrement, des raisons de Realpolitik. Elle permet aux États puissants de légitimer des interventions que le strict discours de la légalité ne peut pas justifier (note n°8 : A. Roberts [2008], p. 208). Ils se donnent ainsi un droit qu’ils n’ont pas à partager avec tout le monde, contrairement à ce que souhaite l’approche par la doctrine : faire de l’intervention humanitaire un droit officiel, c’est permettre à chacun de s’en servir. Opter pour la thèse « illégal mais légitime », en revanche, maintient l’illégalité tout en prônant une certaine tolérance pour les violations : cela revient à accorder un passe-droit à ceux qui peuvent se permettre de violer le droit, c’est-à-dire aux plus puissants seulement (note n°1 : M. Byers et S. Chesterman [2003], p. 195-198).
Deuxièmement, le discours de la légitimité permet de répondre aux crises au cas par cas sans égratigner le droit, c’est-à-dire sans remettre en cause l’article 2(4), les principes de souveraineté et de non-recours à la force. Troisièmement, il permet de critiquer le droit en vue de l’améliorer – le but étant de combler l’écart entre légalité et légitimité, selon les termes de la Commission indépendante sur le Kosovo (note n°2 : The Independent International Commission on Kosovo [2000], p. 10 et 186). Plusieurs auteurs partagent cette ambition, et le rapport danois demande lui aussi que la critique serve à réfléchir sur les changements à apporter au droit international (note n°3 : Danish Institute of International Affairs [1999], p. 24). »
Étant donné qu’au 21ème siècle, compte tenu du développement de la technologie dans le domaine de l’information (la télévision mais aussi Internet et les téléphones portables), il devient quasiment impossible de cacher aux populations, l’existence de Crimes de masse, quel que soit l’endroit où ils sont perpétrés sur la planète. Cette expression est présentée dans l’introduction par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, sous le slogan de : « l’effet CNN ».
En effet, depuis la fin du XIXe siècle et surtout depuis le XXe, l’Information est partout omniprésente et rajoute une pression sur les États tyranniques, quant à leurs responsabilités lorsque qu’ils ont l’intention ou qu’ils commettent des Crimes de masse. Les médias possèdent également une influence non négligeable sur l’opinion publique. De même que les médias et les États s’influencent et/ou se manipulent mutuellement. En tout état de cause, malheureusement, les médias semblent influencer davantage les États Démocratiques que des États Dictatoriaux qui, par définition, se moquent totalement du « qu’en-dira-t-on ». Même si cela est certainement moins vrai au 21ème siècle que par le passé, car avant, certains Dictateurs étaient en mesure d’isoler presque totalement leur population du reste du monde, tel que sous le régime Totalitaire Soviétique de Staline…
C’est d’ailleurs actuellement, tragiquement encore le cas pour le pays, certainement, le plus hermétiquement isolé du reste du monde : je veux bien sûr parler de la Corée du Nord.
Ensuite, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer décortique l’intervention militaire Américaine en Irak, en 2003. Cette intervention relevait-elle du cadre d’une « intervention humanitaire » ? Ici, il n’y a absolument pas de suspens puisque tout le monde sait aujourd’hui que la réponse est évidemment…, négative :
1/ D’abord parce que la demande faite par les États-Unis auprès du Conseil de Sécurité (C.S.) de l’O.N.U n’a pas été celle d’une « intervention humanitaire », mais celle d’ : « une demande d’intervention sur la base d’une présomption de possession d’armes de destruction massive ». Logiquement, compte tenu de la mission du Conseil de Sécurité, ce dernier a refusé de valider la demande Américaine ;
2/ Ensuite, y a-t-il eu le constat d’un massacre ? Ce critère représente celui de la cause juste. Malgré l’immense cruauté de Saddam Hussein, en mars 2003, il n’y avait pas de massacre en cours ou imminent. En revanche, une demande d’ »intervention humanitaire » aurait été légitime en 1988, lors du Génocide d’Anfal engendrant le massacre de 100 000 Kurdes ; ou en 1991, durant la répression de soulèvements.
3/ Puis, en ce qui concerne le critère du but majoritairement humanitaire : clairement l’objectif initial relevait de la sécurité et non de l’humanitaire, puis qu’il s’agissait de démontrer l’existence supposée d’armes de destruction massive ainsi que de liens présumés avec Al-Qaïda. De plus, l’essentiel pour l’État Américain n’était pas le bien-être de la population Irakienne, mais plutôt des raisons politiques ainsi que la volonté de contrôle des ressources énergétiques.
4 / Examinons également, toujours grâce à l’auteur, le critère du dernier recours : Plutôt que de laisser plus de temps aux inspecteurs en Irak, l’usage de la force militaire a été mise en œuvre très rapidement. Alors que généralement, l’usage de la force doit intervenir uniquement en dernier recours.
5 / L’auteur évoque aussi le critère du droit humanitaire : alors que soi-disant les Américains cherchaient désespérément des armes de destruction massive en Irak, les États-Unis ont utilisé eux-mêmes des bombes à fragmentation, le napalm et le phosphore blanc (arme chimique), faisant ainsi tragiquement de nombreuses victimes parmi les civils. Paradoxalement et ignominieusement, les États-Unis ont employé les mêmes moyens militaires qu’ils dénonçaient et cherchaient en Irak : des armes de destruction massive !
Qui plus est, les forces de la coalition ont utilisé d’autres méthodes infâmes (pages 269 et 270) :
« Il y a également les scandales et les abus, au moins ceux qui sont avérés, comme la pratique de la torture par les forces de la coalition et le meurtre délibéré de civils, par exemple lors du massacre d’Haditha en novembre 2005, où les Marines ont assassiné 24 civils irakiens, hommes, femmes, enfants, vieillards et handicapés, pour se venger d’une attaque sur un convoi militaire. « Qui, après Guantanamo et Abou Ghraïb, peut croire encore à l’humanitarisme des puissances occidentales et au bien-fondé de leurs politiques au plan moral ? » (note n°1 : P. Golub [2007], p. 107). »
6/ Enfin, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer nous présente le critère de l’effet positif : ce critère consiste à devoir produire une situation meilleure après l’intervention, qu’avant. Or, l’intervention Américaine en Irak a engendré de nombreux morts, et de plus, le conflit s’est dégradé plongeant ainsi l’Irak dans une Guerre Civile.
Pour conclure, l’exemple de la guerre en Irak, en 2003, permet à Jean-Baptiste Jeangène Vilmer d’analyser la théorie de l’ »intervention humanitaire » à travers un cas concret.
Dans ce cas Irakien, il est donc évident que les États-Unis ont déclenché une guerre n’ayant aucun rapport avec le principe de l’ »intervention humanitaire » (page 271) :
« Mais ce genre de raisonnement ne convainc pas tout le monde et, si certains sont encore aujourd’hui persuadés que l’intervention en Irak était bien humanitaire, c’est qu’ils ont une interprétation différente de certains critères, en particulier de la juste cause : si la tyrannie constitue à elle seule une cause juste d’intervention, si donc il n’est pas nécessaire qu’il y ait, au moment d’intervenir, une urgence humanitaire particulière en dehors des exactions quotidiennes d’une dictature ordinaire, alors le résultat est très différent.
C’est pourquoi il est nécessaire d’examiner attentivement chacun de ces critères : qui intervient et pourquoi, avec quelle intention, quand et comment. »
Dans son argumentation l’auteur ajoute : qu’entre 1991 (la Guerre du Golfe) et 2003, la Communauté Internationale auraient largement eu le temps d’enclencher une procédure Pénale Internationale contre Saddam Hussein : de Génocide ou de Crimes contre l’Humanité. C’est ce qui s’est produit pour les Dictateurs Milosevic et Taylor.
Une autre question est soulevée par l’auteur : Quel(s) État(s) est le plus légitime pour intervenir dans le cas d’un risque imminent de Crime de masse ?
1/ Celui qui possède une force militaire suffisante ;
2/ Il doit être également moralement de confiance ;
3/ Il doit bien évidemment, lui-même, être un État Démocratique et respecter les Droits de l’Homme.
Pour limiter le risque de la mise en avant des intérêts individuels, l’intervention militaire doit être, de préférence, collective donc composée de plusieurs États. Malgré tout, une intervention collective ne résout en rien le problème de l’égoïsme individuel, mais au contraire le complexifie (page 289) :
« Enfin, non seulement l’intervention collective ne résout rien, ou en tout cas pas ce qu’on attendait d’elle (lutter contre l’égoïsme des intervenants), mais en plus elle peut poser d’autres difficultés. L’expérience montre qu’elle est un facteur de ralentissement, voire d’inertie, et qu’elle peut nuire à la rapidité et à l’efficacité de l’intervention (note n°3 : E. Heinze [2009 a], p. 119). Le terrible échec de Srebrenica en 1995, par exemple, peut être attribué en partie aux errements des relations complexes entre l’OTAN et l’ONU – le second ayant empêché le premier d’intervenir avec des moyens aériens (note n°4 : Ibid., p. 118). Si l’intervention est collective, elle a impérativement besoin d’un leadership – paradoxalement « il n’y a pas de multilatéralisme sans unilatéralisme » (note n°5 : T. Friedman [1995]) – et de règles d’engagement claires. »
Nous avons déjà vu que le Conseil de Sécurité (C.S.) est l’organe de décision de l’O.N.U., avec ses cinq membres permanents (déjà cités plus haut).
Alors, deux problématiques principales de fond, récurrentes et extrêmement graves existent au sein de l’O.N.U. :
1/ D’une part, des membres permanents (Chine et Russie) et des membres non permanents parmi les 193 États, n’ont pas de légitimité morale à faire partie de l’O.N.U.. En effet, la situation est incroyablement aberrante et paradoxale, pour ne pas dire scandaleuse, puisque certains de ces pays ne sont pas Démocratiques et ne respectent pas les Droits de l’Homme. Qui plus est, au sein de l’Assemblée Générale (A.G.) des Nations Unies, il en va de la même problématique (pages 292, 293) :
« Ce problème n’est pas propre au CS : il est par définition constitutif du système onusien, puisque l’organisation a une égalité de considération pour ses membres, indépendamment de la nature et du comportement de leurs gouvernements. L’AG accueille tous les États, du Kampuchéa des Khmers rouges à la Corée du Nord. L’Irak de Saddam Hussein peut participer à une conférence onusienne sur le désarmement. Le Soudan, en plein drame Darfour, peut être élu à la Commission des droits de l’homme (2004) et la Libye à sa présidence (2003). Le Conseil des droits de l’homme, qui a pris la suite depuis 2006, fait en principe du respect des droits de l’homme l’un de ses critères d’admission. Mais dans les faits rien n’a changé : un certain nombre de ses membres violent toujours gravement les droits de l’homme. On peut être sceptique, en réalité, sur la capacité de l’ONU à faire de la légitimité morale un critère – comme l’a fait l’UE avec ses fameux « critères de Copenhague ».
C’est totalement hallucinant ! Des Dictateurs siègent à l’ONU ! Cela me fait penser aux juges Soviétiques qui siégeaient lors du Tribunal de Nuremberg avec les autres États, en 1945-1946, pour juger les Crimes contre l’Humanité et le Génocide de l’Holocauste perpétrés par le IIIème Reich Nazi ; alors que pendant ce temps-là des millions de zeks (prisonniers) étaient enfermés dans les camps de concentration et de travaux forcés du Goulag Soviétique ! De même que quelques années plus tôt lors de la Grande Terreur de 1937-1938, Staline avait ordonné la déportation au Goulag ou l’exécution par fusillade de 1 500 000 personnes ; qu’il avait fait fusillé 25 700 innocents parmi l’élite Polonaise à Katyn et ailleurs, en avril 1940 ; et qu’en août et septembre 1939, Staline signa le double Pacte Germano-Soviétique avec Hitler !
On croit rêver en constatant qu’il existe encore ce type de collusion en 2012, en plein cœur de l’O.N.U..
2/ Une autre problématique ressort de l’organisation du Conseil de Sécurité (C.S.) : c’est celle du veto. En effet, il suffit qu’un seul État pose son veto pour que la décision d’intervenir soit bloquée. En clair, cela signifie que des centaines de milliers de vies peuvent dépendre de l’opposition d’un seul membre de l’O.N.U. ! (pages 293, 294 et 295) :
« Le veto tue, dit en substance Boutros-Ghali lorsqu’il revient sur son usage immodéré durant la guerre froide : « Depuis la création de l’ONU en 1945, plus d’une centaine de conflits majeurs ont éclaté de par le monde, qui ont provoqué la mort de 20 millions d’êtres humains environ. L’ONU est restée impuissante devant nombre de ces crises en raison des veto – au nombre de 279 – opposés à l’action du CS, qui illustrent bien les divisions de l’époque » (note n°3 : UN Doc. S/24111 (17 juin 1992), §14).
(…) Les membres permanents n’ayant pas « mérité » leur place sur la base de leur respect des droits de l’homme, on voit mal pourquoi ils auraient, sur ces questions, davantage de poids – et même un poids tout à fait décisif – que ceux des membres non permanents qui sont autant si ce n’est plus respectables.
Le droit de veto exclut également que l’intervention ait lieu contre les membres permanents et tout État qui aurait les faveurs de l’un d’entre eux (note n°4 : B. Lepard [2002], p. 328). Les premiers sont à la fois juges et parties en ce qui les concerne (note n°5 : H. Shue [1998], p. 73). Il promet donc l’impunité, non seulement à ses titulaires, mais également à ceux qui sont protégés par eux, et qui peuvent sereinement entreprendre des massacres de masse (note n°6 : A. Roberts [2004], p. 85). Le veto est le « péché originel » des membres permanents du CS, renchérit Todorov, car il « les place au-dessus de la loi qu’ils sont censés incarner » (note n°7 : T. Todorov [2011]). Il institutionnalise donc la sélectivité qui constitue l’un des premiers reproches adressés à la doctrine de l’intervention humanitaire (note n°8 : CIISE [2001], 6.13, p. 54).
Le problème est également dans sa motivation, qui peut n’avoir rien à voir avec le sort des populations concernées ou le maintien de la paix et la sécurité. Certains États utilisent leur droit de veto pour éviter que l’intervention crée un précédent qui pourrait dans le futur être utilisé contre eux (note n°9 : D. Kritsiotis [1998], p. 1032). Ou simplement comme mesure de rétorsion : si la Chine a utilisé son veto le 25 février 1999 contre le prolongement de six mois supplémentaires de l’UNPREDEP (Force préventive de déploiement des Nations Unis (ex-Yougoslavie)) en Macédoine, c’est parce que la Macédoine avait établi des relations diplomatiques avec Taïwan. Et, si les États-Unis ont menacé d’utiliser leur veto au sujet de la poursuite des opérations en Bosnie, c’était par crainte de voir leurs soldats exposés à la CPI (Cour pénale internationale). Le veto permet de dissimuler les motivations réelles, puisqu’il remplace toute explication : au lieu de devoir argumenter, donner des raisons et les soumettre à l’examen des autres, l’État se contente d’utiliser son veto ou de menacer de le faire (note n°1 : A. Buchanan et R. Keohane [2004], p. 17).
Le droit de veto augmente en outre le risque d’inertie, déjà inhérent à toute forme de décision collective (note n°2 : Ibid., p. 16, et F. Tesón [2006 a], p. 108).
(…) Le CS est la seule autorité légale, mais il souffre de nombreux défauts de nature à remettre en cause sa légitimité. Certains ajoutent que l’expérience ne joue pas en sa faveur si l’on considère que la plupart des interventions autorisées par lui dans les années 1990 se sont soldées par un échec – sans compter celles qui auraient dû avoir lieu et que son inertie a empêchées, ces « non-interventions inhumanitaires », comme les appelle Chesterman, et que celle qui peut-être a le mieux réussi, celle de l’OTAN au Kosovo en 1999, n’était pas autorisée par le CS (note n°3 : F. Tesón [2006 b], p. 765). En attendant la réforme du CS ou l’évolution des pratiques en son sein, les urgences humanitaires affluent et la question de l’intervention reste posée. »
La réalité montre donc que des interventions hors cadre onusien et unilatérales ont été nombreuses dans l’histoire du XXe siècle, suite à une paralysie de l’O.N.U.. Si le Conseil de sécurité (C.S.) fait défaut, l’étape suivante est la saisine de l’Assemblée Générale (A.G.). Mais sa responsabilité est moins importante que celle du C.S.. L’autre recours possible consiste à s’adresser aux organisations régionales comme : les États-Unis dans l’O.T.A.N. (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), la Russie dans la CEI (Communauté des États indépendants) et le Nigeria dans la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest).
La dernière option possible est celle d’une « coalition ad hoc » d’un groupe d’États. Mais dans ce dernier cas, il devient évident que la légitimité d’une telle coalition devient extrêmement faible.
Afin d’augmenter l’efficacité de l’O.N.U., l’auteur estime que l’on pourrait fonder une Légion Onusienne, c’est-à-dire une force onusienne permanente. À l’instar des Casques Bleus créés lors de la crise du Canal de Suez en 1956. Mais une telle force permanente engendrerait, entre autres problèmes, un coût de fonctionnement considérable.
Ensuite, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer définie ce qu’est une : « cause juste », en se posant la question suivante : quelle « cause juste » est susceptible de déclencher une intervention militaire pour des raisons humanitaires ? (pages 324 à 327) :
« Ce que l’on désigne par « droits de l’homme » est un ensemble très vaste de droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels les plus divers, qui ne correspondent pas tous à ceux auxquels on pense pour justifier une intervention militaire.
(…) En tout, seulement quatre droits sont considérés indérogeables par le DIDH (Droit international des droits de l’homme), et figurent dans les trois principales conventions (art. 4 PIDCP (Pacte international relatif aux droits civils et politiques), art. 27 CADH (Convention américaine relative aux droits de l’homme) et art. 15 CEDH (Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales)) : le droit à la vie, le droit de ne pas être torturé ou de ne pas subir des traitements inhumains ou dégradants, le droit de ne pas être tenu en esclavage ou servitude et le droit à la non-rétroactivité de la loi pénale. Ils forment les droits les plus fondamentaux, applicables à tous, partout.
(…) Le droit le plus fondamental qui a motivé les interventions considérées comme « humanitaires » dans l’histoire est le droit à la vie. Ce n’est pas au nom de la liberté d’expression, du droit à la propriété privée ou à l’instruction qu’un État envoie des troupes dans un autre, avec le coût humain et matériel que cela implique. L’intervention ôtera des vies, et cela ne peut se justifier que si elle en sauve davantage. La question étant alors de savoir à partir de combien de meurtres, et de quels types de meurtres, on peut parler d’un massacre et intervenir au nom de cette espèce de droit à la vie qu’est celui à n’être pas massacré. Dans quelle mesure, même, les nombres doivent-ils compter dans l’évaluation juridique et morale d’une situation ? C’est un débat classique en philosophie morale (note n°1 : J. Taurek [1977]), qui trouve d’ailleurs une application dans le cas de la qualification de génocide, puisqu’elle ne dépend pas tant du nombre des victimes que de l’intention des meurtriers (mens rea) (note n°2 : J.-B. Jeangène Vilmer [2008 a], p. 233-241).
(…) La seule manière de garantir l’effet positif est effectivement de n’intervenir qu’en dernier recours, si la situation est telle qu’elle ne pourrait pas être pire. C’est la raison pour laquelle les articles 138-139 du document final du Sommet mondial de 2005 limitent la R2P à seulement quatre situations : « le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité ». Ces crimes constituent le noyau dur des causes justes. »
Depuis la Fin de la Seconde Guerre Mondiale, et le jugement du Crime de masse que fut la Shoah (ou Holocauste), perpétré par le régime Totalitaire du IIIe Reich Nazi d’Hitler en tant que Génocide, dans l’inconscient collectif, cette caractérisation de Génocide représente le summum de l’horreur. Or, pour la plupart des juristes, il n’existe pas de hiérarchisation dans les Crimes Internationaux. Les Crimes contre l’Humanité, les Nettoyages Ethniques ou les Crimes de Guerre peuvent engendrer autant ou même plus de morts, qu’un massacre de masse caractérisé de Génocide.
Une autre question fondamentale (déjà évoquée plus haut) est à nouveau posée par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer : Faut-il envisager l’ »intervention humanitaire » dans les seuls cas, de : Génocide, Crimes de Guerre, Nettoyage Ethnique et Crimes contre l’Humanité ?
Certains interventionnistes veulent élargir le cercle d’intervention à l’ensemble des atteintes aux Droits de l’Homme (pages 335 à 341) :
« Certains interventionnistes ont donc une compréhension large de ce que doivent être les droits protégés par la menace d’une intervention et ils considèrent que celui de participer à des élections libres, par exemple, ou d’être libéré d’une tyrannie, constitue un motif également légitime d’intervenir (note n°1 : M. Reisman [1984], p. 642, et A. D’Amato [1990], p. 519. À l’inverse de O. Schachter [1984], p. 645). Tesón appelle « humanitaire » toute intervention visant à déposer un tyran, à condition de vouloir le remplacer par un régime démocratique (note n°2 : F. Tesón [2005 b]). La fameuse urgence humanitaire, imminente ou en cours, n’est plus nécessaire : la nature du régime politique suffit.
(…) Ce genre d’argumentation fait une grave confusion. D’abord, Tesón confond la nature du régime et les actes perpétrés sur son territoire, lesquels peuvent être attribuables non au caractère propre du régime mais à sa seule impuissance, comme ce fut le cas en Somalie (note n°5 : K.-C. Kan [2006], p. 93). Ensuite et surtout, il confond l’intervention humanitaire avec l’intervention politique menée unilatéralement pour promouvoir la démocratie, comme ce fut le cas à Grenade en 1983 et au Panama en 1989 (note n°6 : K. von Hippel [2000] et D. Wippman [2000]). Contrairement à ce que présuppose la rhétorique de la libération, la seconde ne concerne qu’indirectement et partiellement la population, car la volonté de renverser un régime peut être motivée par d’autres raisons que la protection d’une population opprimée par un tyran sanguinaire. Dans son projet de remodelage d’un « Grand Moyen-Orient », l’administration américaine a une perspective globale de stabilité régionale et internationale, dont le but est d’abord de protéger l’Amérique, d’étendre sa sphère d’influence et de lui ouvrir de nouveaux marchés. Il n’est guère question de la population locale. « L’objectif poursuivi est plutôt de réformer certains types de gouvernements jugés indésirables, non de porter secours de manière ciblée à des victimes de génocides ou de crimes de masse » (note n°1 : S. Courtois [2006], p. 10).
Il est facile de distinguer, en théorie, l’intervention humanitaire à proprement parler de l’intervention prodémocratique, et l’on doit le faire. Mais, en pratique, n’y a-t-il pas des cas où les deux coïncident, voire fusionnent ? C’est un fait que les urgences humanitaires apparaissent souvent dans des États non démocratiques. Il est généralement possible d’établir un lien de causalité entre la nature du régime et les exactions dont est victime la population – soit parce qu’ils les commet lui-même, les laisse faire, ou n’a pas le pouvoir de les empêcher. Quelle serait l’efficacité d’une intervention qui ne s’attaquerait qu’aux symptômes, en arrêtant les massacres en cours puis en se retirant, laissant grande la probabilité de rechute ? Si le problème est lié à la nature du régime politique, il est difficile de le traiter sans renverser ce régime (note n°2 : T. Farer [1991], p. 198).
Si la cause de l’urgence humanitaire est un gouvernement tyrannique, intervenir pour répondre à cette urgence humanitaire – et non pour renverser le gouvernement – passe dans les faits par son renversement, non comme une fin, mais comme un moyen nécessaire. Autrement dit, l’intervention humanitaire peut être « l’occasion d’une démocratisation forcée et justifiable » (note n°3 : M. Walzer [2006], p. 589).
Prenons le cas de l’intervention de l’OTAN en Libye (24 mars – 31 octobre 2011) (note n°4 : J.-B. Jeangène Vilmer [2011 b]). De quoi s’agissait-il ? Officiellement, d’une intervention « seulement » humanitaire. La résolution du CS n’autorise les États intervenants à prendre toutes les mesures nécessaires que « pour protéger les populations et zones civiles menacées d’attaque ». Il n’est apparemment pas question de renverser un dictateur, encore moins d’imposer la démocratie, et en général les responsables politiques et militaires se gardent bien de prétendre le contraire. Mais, en même temps qu’ils reconnaissaient la limite de leur mandat, ils étaient également unanimes pour souhaiter le départ de Kadhafi (note n°1 : B. Obama, D. Cameron et N. Sarkozy, « Libya’s Pathway to peace », International Herald Tribune, 15 avril 2011). Comment comprendre cette articulation ?
L’intervention est humanitaire dans sa fin mais politique dans son moyen. Les sceptiques demanderont : est-ce bien l’intervention humanitaire qui est l’occasion d’une intervention politique, ou l’inverse ? L’État intervenant ne peut-il pas profiter d’une crise humanitaire pour renverser un régime en se servant des victimes comme d’un moyen, et non d’une fin ? Sans doute. Mais cela ne semblait pas être le cas en Libye. Les États intervenants faisaient hier encore des affaires avec Kadhafi et n’avaient aucun intérêt à renverser un si bon client. Il a fallu que le printemps arabe s’en mêle pour que le dictateur devenu fréquentable redevienne « sanguinaire ».
Il fallait donc que Kadhafi parte. Dire cela, ce n’était pas être un faucon faisant du changement de régime une cause juste en soi. C’était au contraire le considérer comme un moyen de satisfaire la cause juste, qui était la protection des civils. La question était simple : pouvait-on protéger les civils sans renverser Kadhafi ? Après qu’il ait ordonné le bombardement des manifestants à Tripoli, menacé de « nettoyer » Benghazi, et même d’attaquer des objectifs civils en Méditerranée ? Non, puisqu’il était à l’origine de la menace qui pesait sur eux.
La résolution autorisait les intervenants à prendre « toutes les mesures nécessaires » pour protéger les civils. Le renversement de Kadhafi était l’une de ces mesures nécessaires. Pas comme une fin en soi – c’est pourquoi il ne s’agissait pas d’une intervention prodémocratique – mais comme un moyen. D’ailleurs rien ne garantit que le régime suivant sera démocratique. On peut toutefois supposer qu’il le sera davantage, et cela suffit à le préférer.
(…) Voilà comment l’exemple libyen montre que le changement de régime peut être un moyen, non une fin, de l’intervention humanitaire.
(…) La question est de savoir si l’on peut faire la guerre pour imposer la démocratie, et si cette manière de faire est à la fois efficace et juste.
Ceux qui défendent de telles interventions prodémocratiques présupposent qu’ils seront accueillis en libérateurs, puisqu’ils sont convaincus que tous les peuples apprécient la liberté et qu’ils ne s’opposeront pas à son établissement. Si les faits démentent, c’est que la situation est plus compliquée : en admettant que tout le monde souhaite jouir de liberté et de démocratie, tout le monde ne souhaite pas se la faire imposer. Le fait même que l’intervention soit extérieure crée généralement un réflexe d’union nationale autour du régime cible de l’intervention. L’expérience (aux Philippines, au Nicaragua, à Haïti, en Afghanistan et en Irak) a montré que ce genre d’intervention ne fonctionne pas, pour une raison simple : la démocratie n’est pas « un café instantané », comme le dit Védrine, mais un processus, qui a d’ailleurs mis des siècles à se construire en Occident (note n°1 : R. Brauman et H. Védrine [2003], II, 16. Voir aussi H. Védrine [2007], p. 26-27). Ceux qui croient pouvoir transposer simplement les institutions démocratiques d’un pays à un autre, dénonçait déjà Morgenthau en 1946, « ne voient pas que la démocratie ne fonctionne que dans certaines conditions intellectuelles, morales et sociales » (note n°2 : H. Morgenthau [1946], p. 55). »
Pour évoquer la problématique des catastrophes naturelles, voici de quelle manière Jean-Baptiste Jeangène Vilmer analyse la situation au regard de l’ »intervention humanitaire »(pages 343 à 351) :
« C’est donc avec ces nuances qu’il faut aborder la question qui nous intéresse ici, celle de savoir ce qu’il faut faire de ces victimes lorsque l’État sur le territoire duquel la catastrophe a eu lieu ne consent pas à recevoir de l’aide internationale. Peut-on considérer la catastrophe naturelle, ou plutôt ses conséquences, comme une cause juste d’intervention militaire ? Oui, répond la CIISE (Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États), « lorsque l’État concerné ne peut pas, ou ne veut pas, y faire face ou demander de l’aide, et que d’importantes pertes en vies humaines se produisent ou risquent de se produire » (note n°2 : CIISE [2001], §4.20, p. 38). Il faut donc deux conditions cumulatives : un dommage important en termes de vies humaines et l’inaction des autorités locales, qui ont toujours, en vertu du principe de souveraineté, la priorité dans la réponse à apporter – mais non l’exclusivité. Si elles laissent la population mourir, même si elles ne sont pas à l’origine du dommage, elles deviennent l’origine de son aggravation et leur passivité peut être assimilée à un crime de masse. Cette position de la CIISE n’a pas été reprise dans le document final du Sommet mondial de 2005 : du point de vue onusien, la R2P ne s’applique pas aux cas de catastrophe naturelle. Une partie de la doctrine, en revanche, pense qu’elle devrait le faire (note n°3 : G. Evans [2008], p. 65-68, et E. Heinze [2009], p. 47).
(…) Un million de morts en Éthiopie en 1984, 200 000 à 3,5 millions en Corée du Nord en 1996, 70 000 au Soudan en 1998, une dizaine de millions de personnes touchées par la crise alimentaire dans la corne de l’Afrique en 2011. Nous ne parlons pas ici de malnutrition ordinaire, endémique dans certains pays, qui sur le long terme tue davantage encore, mais contre laquelle une intervention ponctuelle ne peut rien. Nous parlons de la famine, qui est par définition violente (note n°3 : A. Sen [1981], p. 40). La famine tue davantage que les génocides. Pourquoi se sent-on la responsabilité d’agir face aux uns davantage que face aux autres ? Si laisser les gens se faire tuer est caractérisé comme de la non-assistance à personne en danger et donne lieu à d’intenses débats sur le droit et le devoir d’intervenir, en quoi les laisser mourir de faim est-il plus acceptable ?
On a davantage tendance à intervenir pour des catastrophes humaines brutales, qui tuent beaucoup en peu de temps, de manière démonstrative et surtout avec un meurtrier (c’est un homme qui en tue un autre), que pour des catastrophes structurelles, économiques, comme la famine, qui font pourtant davantage de victimes. Pourquoi ? Car, dans le premier cas, le coupable est clairement identifié et distingué de l’observateur occidental : c’est généralement un Africain qui en tue un autre. On peut donc se poser en juge et intervenir. Dans le second cas, il n’y a pas de coupable individuel, la responsabilité est beaucoup plus diffuse et englobe l’observateur occidental : si l’Africain meurt de faim, c’est qu’il y a un problème de justice distributive auquel participe pleinement l’Occident – pour ne pas dire qu’il en est la cause.
Les droits fondamentaux que distingue Shue incluent non seulement le droit à la sécurité, mais aussi certains droits positifs, comme le droit à la subsistance (note n°2 : H. Shue [1980]). Certains auteurs envisagent donc de ne pas limiter la cause juste à la violation des seuls droits négatifs, et considèrent également le droit à une nourriture suffisante, évoquant l’hypothèse d’un autocrate empêchant délibérément son peuple d’avoir accès à des médicaments et de la nourriture – il y aurait là une justification à intervenir militairement (note n°3 : S. Miller [2005], p. 54).
D’autres montrent que la fait de créer ou de prolonger une famine peut être considéré comme un crime international (note n°4 : D. Marcus [2003], p. 245-281). Marcus distingue quatre degrés de comportements « faminogènes ». Le 4e degré est celui du gouvernement incapable qui assiste, impuissant, à une crise alimentaire devenant famine. Le 3e celui du gouvernement indifférent qui ne fait rien pour lutter contre le problème alors qu’il aurait peut-être les moyens de le faire. Cette indifférence est généralement considérée comme une « mauvaise gestion » du pays qui ne témoigne pas forcément d’une intention de nuire (mens rea) et qui n’est donc pas forcément constitutive d’une responsabilité en droit pénal international. Le 2e degré, en revanche, est celui du gouvernement téméraire ou imprudent, qui continue de mettre en œuvre des politiques tout en sachant qu’elles causent ou augmentent le risque de famine. Et le 1er celui du gouvernement qui utilise la famine comme un moyen d’exterminer certaines populations. Selon Marcus, les deux premiers degrés peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité et engagent donc la responsabilité de ceux qui les commettent au regard du droit pénal international (note n°1 : Ibid., p. 247).
Cette distinction est intéressante mais ne relève pas d’un travail de police, qui viserait à mettre fin ou prévenir, au moyen de la force militaire, les exactions commises. Que la famine puisse être considérée comme un crime, dans certains cas, permet certainement de l’envisager a priori comme une cause juste d’intervention, mais l’intervention dont on parle est militaire et la question est alors de savoir si elle peut constituer une réponse adéquate, non pour capturer ou punir les responsables, mais pour sauver la population.
(…) La famine en tant que telle est une cause légitime de préoccupation et d’action, mais elle ne peut être une cause juste d’intervention armée que si la force militaire a une chance raisonnable de succès, et cela n’arrive généralement que dans les situations où les autorités locales ne sont pas consentantes, soit parce qu’il y a une quelconque mens rea en jeu (1er et 2e degrés de comportements « faminogènes » selon Marcus), soit parce qu’il y a un conflit en cours, et l’on aura donc toujours d’autres raisons d’intervenir que pour la famine seulement. Autrement dit, la famine ne peut être une cause juste d’intervention armée qu’indirectement, lorsque l’assistance humanitaire se heurte à des obstacles qui nécessitent que les corridors soient sécurisés par une force militaire – et il y aura toujours le risque que cette présence mette le feu aux poudres et aggrave le conflit, donc le nombre de victimes, comme on l’a vu en Somalie.
(…) Quelle différence cela fait-il, de ce point de vue, que les 100 000 victimes dont on parle soient tombées sous les coups de meurtriers ayant ou n’ayant pas d’intention génocidaire, ou même à cause de la négligence d’un gouvernement suite à une catastrophe naturelle ? Il peut paraître indécent de faire ces distinctions subtiles (note n°1 : R. Thakur [2008 b]).
Pour cette raison, l’approche par la nature du crime peut être avantageusement remplacée par une approche par la nature du dommage. Le crime cause un dommage et c’est la nature de ce dommage qui devrait justifier ou non l’intervention, pas le type de crime qui en est à l’origine, dans les classifications du droit pénal international. La CIISE écrit que l’élément « juste cause » est satisfait si l’une des deux conditions suivantes, ou les deux, est réalisée :
« – des pertes considérables en vies humaines, effectives ou appréhendées, qu’il y ait ou non intention génocidaire, qui résultent soit de l’action délibérée de l’État, soit de sa négligence ou de son incapacité à agir, soit encore d’une défaillance dont il est responsable ; ou
– un « nettoyage ethnique » à grande échelle, effectif ou appréhendé, qu’il soit perpétré par des tueries, l’expulsion forcée, la terreur ou le viol » (note n°2 : CIISE [2001], §4.19, p. 37). »
Après avoir décortiqué la définition du Génocide, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer continue de s’interroger pour savoir pourquoi le Crime de Génocide élaboré en 1945, par Raphael Lemkin, pour juger le Nazisme lors du Tribunal de Nuremberg, est considéré comme le « Crime des Crimes » (page 372) :
« Qu’est-ce qui, finalement, distingue un massacre génocidaire de 200 000 personnes d’un massacre non génocidaire de 200 000 personnes ? L’intention seulement. Et c’est cette intention seulement qui, aux yeux de l’opinion, rend le premier pire que le second, alors que, du point de vue des victimes, le résultat est le même. Le problème est la distance, voire la déconnexion, entre le droit du génocide, c’est-à-dire la perception qu’ont les juristes du génocide, et celle de l’opinion publique, comme on l’a vu tout à l’heure.
Luban propose alors de redéfinir le génocide, en supprimant purement et simplement l’intention. Il propose de modifier la Convention sur le génocide afin que le mot « génocide » désigne non seulement ce qu’il désigne aujourd’hui, mais aussi « le crime contre l’humanité d’extermination ». Ceci pour montrer que tuer 400 000 personnes au Darfour n’est pas moins grave qu’un génocide, et pourrait donc être considéré comme un génocide ainsi redéfini (Ibid., p. 320).
La question mérite d’être posée mais cette solution est discutable. Faire disparaître l’intention reviendrait à faire disparaître le crime de génocide lui-même, puisque l’intention en est un élément constitutif et une condition sine qua non. Il nous semble préférable de maintenir la spécificité du génocide tout en trouvant d’autres moyens d’affirmer que les autres crimes internationaux ne sont pas forcément moins graves. Ce qu’il faut éviter n’est pas la particularité du génocide, mais la hiérarchie des crimes – au-delà d’un certain seuil. »
Les États n’étant ni moralement désintéressés, ni juridiquement obligés d’intervenir, leur intervention peut donc être sélective, comme le fait d’intervenir en Libye et pas au Bahreïn, en Syrie ou au Yémen (pages 402 et 403) :
« Ceux qui s’en effarouchent et crient au scandale, ceux qui ordonnent le désintéressement, exigent ce qu’à l’échelle individuelle on est bien incapable d’accomplir. Les « relations internationales » sont abstraites, et cela nous pousse, sans doute, à avoir à leur égard des exigences déconnectées de la réalité, comme si les États étaient autre chose que des hommes et qu’ils avaient une logique différente. Plutôt que de blâmer l’égoïsme, qui est naturel et inévitable, il faut l’utiliser pour convaincre les États qu’il est dans leur intérêt, soit d’intervenir lorsqu’il faut le faire, soit de se retenir lorsqu’il ne faut pas le faire, en prenant en compte l’important domaine des représentations, celui de leur image sur la scène internationale.
(…) C’est ce que Bassiouni appelle la « dimension utilitariste de la R2P » : montrer à l’État que la protection internationale des droits de l’homme est dans son intérêt puisque cela renforce la paix et la sécurité et est au final plus « économique » (note n°4 : C. Bassiouni [2009], p. 41).
En outre, l’État intervenant, qui n’est pas et ne peut pas être totalement désintéressé, ne doit pas l’être non plus, pour au moins deux raisons. La première est que sa raison d’être est de protéger ses propres citoyens et de défendre l’intérêt national : un désintéressement absolu serait, de ce point de vue, un grave manquement à la responsabilité de l’État (note n°1 : J’ai défendu cet argument dans J.-B. Jeangène Vilmer [2007]. J. Elshtain [2008], p. 171, n. 71, l’approuve. Voir aussi F. Tesón [2005 b], p. 6). Cet argument s’inscrit dans la tradition qui fait reposer la légitimité de l’autorité sur la responsabilité de protéger, initiée par Hobbes et ravivée au siècle dernier par Schmitt et Foucault (note n°2 : A. Orford [2011], p. 109. Voir C. Schmitt [2002] et M. Foucault [2004], p. 108) : l’autorité légitime du souverain découle de sa capacité à protéger ses sujets. S’il n’est plus capable de les protéger, prévient Hobbes, il perd son autorité et les sujets n’ont donc plus l’obligation de lui obéir (note n°3 : T. Hobbes [1971], XXI, p. 233-234).
(…) La seconde raison pour laquelle l’État intervenant ne doit pas être désintéressé est qu’il y va de la qualité de l’intervention elle-même, donc de l’intérêt des victimes. L’hypothèse est impossible mais admettons un instant qu’un État puisse intervenir de manière désintéressée : il est fort probable qu’il n’engagerait pas de moyens coûteux donc efficaces dans l’intervention et qu’il se retirerait immédiatement après avoir souffert ses premières pertes (note n° 5 : Danish Institute of International Affairs [1999], p. 111, et T. Seybolt [2007], p. 27). De la même manière que l’État intervenant ne doit pas être désintéressé car sa raison d’être est de défendre les intérêts de sa population, il ne doit pas l’être non plus car la raison d’être de l’intervention est d’avoir un effet positif. Il faut intervenir en se donnant les moyens de « réussir », c’est-à-dire de mettre effectivement fin aux exactions en cours, ou ne pas le faire du tout, en invoquant la sélectivité. Mais intervenir à moitié, sans grande motivation car sans intérêts nationaux en jeu, n’aurait de bonnes conséquences pour personne, ni l’intervenant ni les victimes. »
De plus, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer démontre qu’il n’est pas possible d’intervenir envers des pays puissants, puisqu’on laisse, par exemple, la Chine persécuter le Peuple Tibétain depuis des décennies (page 398) :
« (…) il ne faut pas donner l’impression que la puissance militaire autorise l’impunité. Peu importe que ce soit le cas réellement, c’est-à-dire que personne dans les faits n’attaquera la Russie ou la Chine. Il faut montrer que ces États, comme les autres, sont sensibles aux pressions et qu’il existe contre eux des leviers efficaces. Si nécessaire, il faut envisager des sanctions – même si elles restent sans effet. « Sans doute ne peut-on pas bombarder Moscou. Mais faut-il lui accorder des crédits financiers ? » (note n°2 : H. Védrine [2000]). La décision du Conseil de l’Europe de suspendre l’adhésion de la Russie en avril 2000 était bonne, même si elle n’a pas empêché Moscou de bombarder Grozny. »
Un autre critère essentiel qui conditionne le déclenchement de l’ »intervention humanitaire » est celui du « consentement des victimes ». Les États susceptibles d’intervenir doivent s’assurer que celles-ci (les victimes) acceptent, voire réclament l’intervention étrangère. Critère particulièrement difficile à obtenir puisque, par définition, les victimes sont maintenues, la plupart du temps, sous le joug, le mensonge, la propagande et la Terreur de masse de leur Tyran. Privées partiellement voire totalement de la leurs droits fondamentaux, comme celui de la Liberté d’expression, les victimes peuvent difficilement solliciter une aide extérieur à leur pays. Elles peuvent parfois passer par des dissidents au régime à l’étranger ou par des organes les représentants à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, s’ils existent.
L’auteur vient également apporter des précisions sur un critère déjà évoqué plus haut, celui : du « dernier recours ». Point crucial, car : à quel moment intervenir ? Trop tôt l’intervenant peut être soupçonné de velléités impérialistes, et trop tard, d’être accusé de passivité, voire de non-assistance à personne en danger.
Par exemple, globalement au Timor Oriental (1999) le déploiement militaire semble être intervenu dans les temps, faisant un « minimum » de victimes. Alors, qu’au Rwanda (1994) intervenir, après un Génocide qui a fait 1 000 000 de morts en seulement cent jours, c’est bien évidemment, tragiquement, beaucoup trop tard ! Au Rwanda donc : la France et les États-Unis ont clairement, gravement échoué à empêcher le Génocide.
Un autre cas est celui de la Bosnie, où l’O.N.U. est intervenue rapidement mais pas avec suffisamment de force militaire, car sans détermination. Le terrible résultat a donné le massacre de Srebrenica.
Au final, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer estime qu’en règle générale : il vaut mieux intervenir assez tôt et fortement.
L’ »intervention humanitaire » doit aussi relever d’une certaine « proportionnalité », c’est-à-dire d’une adaptation armée en fonction du contexte. Par exemple, il y a eu un usage trop important, donc disproportionné de la force lors des interventions : Russe en Géorgie en 2008 ; et dans le cadre de l’opération « plomb durci » d’Israël dans la bande de Gaza (décembre 2008 – janvier 2009).
Alors qu’à l’inverse, au Rwanda, il était impossible aux, seulement, 2 500 Casques Bleus de stopper un gigantesque Génocide qui a engendrer la mort de 1 000 000 de personnes en 100 jours ! Il aurait fallu, ici, mobiliser une véritable force armée.
En revanche, tout le monde sait qu’en Afghanistan et en Irak au début du 21ème siècle, les moyens militaires déployés, l’ont été massivement.
De nos jours, les frappes « chirurgicales » peuvent limiter les morts de civils innocents, donc les dommages collatéraux.
Au Kosovo (1999) des bombardements massifs et mal ciblés à 5 000 mètres d’altitude ont engendré une catastrophe humanitaire chez les civils. Le but de bombarder si haut, était de protéger les pilotes mais au dépend…, des civils Serbes !
Par la suite, les pilotes eux-mêmes ont réclamé à l’O.T.A.N. d’abaisser le seuil de largage à 2 000 mètres, quitte à risquer leur vie (page 454) :
« Nous savons que cela augmente significativement les risques, mais aucun de nous ne veut plus jamais toucher un tracteur plein de réfugiés. Nous ne pouvons le supporter (note n°2 : C. Cordone et A. Gidron [2000]). »
Finalement, une intervention militaire est « réussie », lorsqu’il y a, non seulement, un arrêt des exactions à court terme, mais également à moyen et/ou long terme, la résolution du conflit, puis la reconstruction…
Conclusion :
Il n’existe pas de bonne solution dans le cadre de l’ »intervention humanitaire » : devoir intervenir en dernier recours n’est que l’aboutissement d’un dramatique constat d’échec diplomatique.
En fin de compte, si l’on reprend la formule-concept de l’auteur « illégal mais légitime », formule qui est juridiquement injustifiable, on peut considérer que l’O.N.U. permet de commettre, dans un cadre légal reconnu par la Communauté Internationale, des « interventions », en fin de compte…, « IN-humanitaires » (risquer de tuer des personnes), légitimées par le fait que les atrocités innommables et incommensurables dont il est question ici, violent les fondements même du Droit, en l’occurrence ceux des Droits de l’Homme.
Après cette passionnante lecture, je trouve malgré tout qu’une interrogation reste en suspend : comment la Communauté Internationale doit-elle se comporter face à des régimes qui terrorisent leur propre Peuple, sous des régimes Dictatoriaux ou pire encore, comme en Corée du Nord sous un régime…, Totalitaire ?
En effet, on a bien compris que pour Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, l’ »intervention humanitaire » ne peut être décidée qu’en dernier recours, et uniquement dans le cas de l’imminence : d’un Génocide, d’un Nettoyage Ethnique, de Crimes de guerre ou de Crimes contre l’Humanité. Car en effet, il considère que la Terreur de masse « institutionnalisée » d’un État contre son propre Peuple ne peut servir de raison légitime à une intervention par la force, puisqu’il ne la considère pas comme un but majoritairement humanitaire, une cause juste, et un dernier recours !
De même que, toujours en suivant l’argumentation de l’auteur, même si ces Peuples persécutés réclament l’aide de la Communauté Internationale, ils ne peuvent l’obtenir de l’O.N.U., que s’ils sont objectivement menacés par un massacre de masse imminent !
Au final, l’auteur estime que l’ »intervention humanitaire » ne doit pas être étendue au domaine politique consistant à vouloir exporter la Démocratie en luttant contre des tyrans.
Alors pour ces Peuples opprimés qui n’entrent pas dans le cadre du principe de l’ »intervention humanitaire » ou de la « R2P », la question reste donc entière : Quelle(s) solution(s) existe-t-il à la tragédie vécue par ces Peuples ? N’ont-ils pas le droit, eux aussi à accéder à la Liberté et à la Démocratie ?
Détails sur La guerre au nom de l’humanité. Tuer ou laisser mourir
Auteur : Jean-Baptiste Jeangène Vilmer
Editeur : PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE
Nombre de pages : 624
Isbn : 978-2130583516