Lee Roy Un réveillon qui s’annonce bien

Critique de le 31 décembre 2010

Je n‘ai pas aimé...Plutôt déçu...Intéressant...Très bon livre !A lire absolument ! (87 votes, moyenne: 4,61 / 5)
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 Paulo l’écolo – Bob le barman – Margot la rappeuse – Le Ministre de Paulo, l’écolo – Lulu arrose le caviar de pastis – Dans Détective, une histoire de décapitation – Joss a-t-il tué sa femme avant de disparaître ? Absolute- sex et autres sex-drinks- les pratiques sado-maso de Joss et Flora – La danse des sept voiles pour un réveillon qui s’annonce bien.

 

 Le barman, main gauche sur la hanche, main droite appuyée sur le zinc,  conserva un seul pied par terre pendant que l’autre se balançait. Paulo l’écolo menaça son fragile équilibre en lui serrant la pince et rejoignit la terrasse sauvage du Marcus Bar, côté rue de Beaune. Depuis que Marie des Neiges lui avait confié une enquête sur la mystérieuse disparition de sa sœur Tatiana, il  venait ici chaque soir, en quittant le Ministère de l’Ecologie, Boulevard Saint Germain. Avec le redoux du dernier soir de l’année,  il y fumait tranquillement sa clope dehors, en buvant son cocktail préféré, le très excitant full libido. Il y avait une grosse hype dans le quartier pour cet établissement  où le barman glissait toujours quelques fleurs fraîches dans les coupes des femmes. Ce soir, des panneaux de chantier délimitaient  ce morceau de bonheur tranquille où Paulo retrouvait d’autres amateurs de ce breuvage qui devenait célèbre dans tout Paris et où il avait décidé de commencer la soirée du nouvel an.

Bob, barman américain, spécialiste newyorkais en sex-cocktails s’était taillé une réputation enviable dans ce quartier fréquenté par les Ministères, Sciences Pô,  les antiquaires, mais aussi de nombreuses maisons d’édition. Les travaux de l’ancien hôtel de Cambacérès, à l’angle des rue Bottin et de l’Université,  avaient amené une clientèle ouvrière qui conférait aux lieux une étonnante mixité sociale. Paulo préférait de loin le Marcus Bar à celui du Ritz où il avait pourtant effectué un stage auprès du célèbre barman Colin Peter Field. Chacun, ici, pouvait ainsi, sans distinction d’origine, profiter de la gamme de cocktails de la célèbre chaîne des Marcus-Bar, implantée dans les grandes capitales mondiales.

 Margot, petite blonde peroxydée extraterrestre et rappeuse Sud-Africaine, façon Die Antwood, offrit à Paulo sa figure recouverte de tâches de rousseur pour avoir son bisou. Bob, le barman, s’approcha d’eux  et leur demanda : « Ce soir vous voulez un serendipity où vous  préférez du champagne ?

–         Quitte à sabrer, autant donner dans le puissant répondit Paulo..

–         Ya quoi dans ton truc ? demanda Margot

–         Calvados  Pays d’Auge, menthe fraîche, jus de pomme, champagne.

–         Moi, je préfère les sex-coktails de Bob, reprit Paulo en se penchant vers elle. Ils sont colorés, sucrés, amers, crémeux exotiques, frappés, glacés, fouettés… Ah ! Fouettés. Avant de commencer la soirée, je démarre toujours par une  full libido.

–         C’est quoi la full libido ?

–         Je  t’en offre un carafon, Margot.

–         Cool »

 Elle lui caressa le visage avec sa main libre. Dans l’autre main, elle tenait un verre où des glaçons fondus bringuebalaient.

Paulo interpelle le barman « Hé, Bob, apporte une full libido à Margot.

–         Putain Paulo, je croyais que c’était une blague, la libido en carafon, c’est super-fun.

–         Tu vas voir, Margot, c’est aphrodisiaque.

–         Ya quoi dedans ? 

–         Vodka, tequila, gin, rhum, curaçao bleu, jus de citron, sucre, limonade.

–         Oh, putain, Paulo, ya de quoi s’envoyer en l’air. »

En se laissant caresser la joue par Margot, Paulo pensa qu’il y a quelques mois dans Manhattan,  il avait  fait découvrir ce cocktail à son Ministre. Après une réunion hyper-chiante sur l’approvisionnement en eau potable des pays pauvres, ils avaient traîné du côté de Washington Square à écluser des sex-drinks dans le Marcus Bar qui avait lancé la chaîne. Paulo avait pu constater combien Bob était à la hauteur, son cocktail était aussi bon que le newyorkais. Le ministre n’avait jamais rien bu d’aussi bandant. Pourtant, à la soixantaine bien tapée il  carburait grave. Un pro du scotch. Sacrée soirée. Après ils avaient  dîné au Twenty-one, toujours si glamour. Ambiance pétillante. Fin de nuit au Webster Hall. Le Ministre, malgré trente ans de plus que Paulo, tenait le choc. Question d’entraînement.

Mais ce soir, Paulo dealait avec Margot et c’était aussi bien qu’à Washington Square.  Bob leur  servit le cocktail dans un petit carafon évasé avec, à côté deux verres bien glacés. Paulo tendit son verre à Margot. « Ouais, merci Paulo, super-génial.

–         Attends d’y avoir goûté pour dire merci. »

Paulo sentit le contact de ses genoux contre les siens. Du haut de ses 186 centimètres il se trouvait trop petit pour Margot qui collectionnait des géants, fascinés par son centre de gravité incroyablement bas. Il éprouva un désir net et brutal. Hélas, au même moment, elle reçut un SMS et s’éloigna pour y répondre.

 Avec Margot, Paulo était plus à l’aise qu’avec Barbara, la jeune collaboratrice de Lulu, une keuf privée rousse qui trimbalait toujours sa bête dans son sac, un vison américain spécialement dressé à l’attaque et qui, au moindre commandement de sa maîtresse, volait sur le nez de la victime désignée. A cause de la bête, plus d’un imprudent s’était retrouvé en chirurgie esthétique pour réparer un nez arraché. Lors de plusieurs réunions de travail, Barbara avait sorti le vison du sac et Paulo en avait été terrifié, même si la bête s’appelait Brigitte, en hommage à Bardot. L’animal lui avait été offert par sa grand-mère, une célèbre bordelière parisienne qui avait confié à Lulu sa petite fille pour ses quinze ans. Barbara et Lulu avaient soigneusement dressé l’animal, maintenant devenu non seulement un gentil compagnon, mais aussi une arme redoutable.

 Paulo profita de l’absence de Margot, pour entretenir sa mémoire à moyen terme. Il se concentra sur une confidence que lui avait faite Marie des Neiges : un voyage à New York avec sa soeur Flora et  son mec Vieux Joss. Oui, la mémoire lui revenait, Vieux Joss  avait rencontré Bob par hasard dans Harlem, il avait sympathisé avec lui et l’avait présenté à son pote Marcus, le fondateur des Marcus-Bar. De fil en aiguille, les trois compères avaient décidé d’ouvrir un Marcus-Bar à Paris. Paulo avait remarqué l’émotion avec laquelle Marie des Neiges évoquait la chaude sensualité qui l’unissait à sa sœur, mais surtout à Joss. C’est sûr qu’elle aurait préféré se taper Joss pour elle toute seule. Aux dires de Marie des Neiges, Flora n’avait pas tellement apprécié ce séjour à New York. Echantillon en jupons de la vieille droite française, elle était mécontente de voir son mari évoluer parmi des barmans et des maquereaux  renois, dans les milieux interlopes de New York.

Marie des Neiges lui avait raconté comment Vieux Joss, à chacune de ses vacances d’instituteur filait à Harlem où il logeait dans la maison même où son ami Marcus Jackson avait démarré sa chaîne funéraire spécialisée dans les services aux victimes de la mort violente. Il était devenu le leader de ce marché, avec une très forte implantation dans le Bronx, avant de  céder son affaire à sa fille Marylin et d’ouvrir un bar à Washington Square, ainsi qu’une agence d’escort au World Trade Center. Il faisait sensation à New York en offrant avec les sex-cocktails, un buffet de caviar arrosé de pastis, une idée géniale de vieux Joss.

Le caviar au pastis avait plu à Lulu, le  pote marseillais de Paulo, un commissaire divisionnaire à la retraite qui autrefois démantelait avec le FBI, des réseaux de trafiquants de drogue. Le pastis dans le caviar avait décidé Lulu à aider l’écolo dans son enquête, à condition de se faire aider par Barbara. Paulo pressentait qu’il faudrait aussi mener l’enquête aux Etats-Unis et il était convaincu que Lulu obtiendrait  des informations sur l’ex-croquemort Jackson reconverti dans le maquereautage des escort  fréquentant ses Marcus-Bar américains. Ancien de la Brigade Mondaine, il avait le talent de faire extorquer par des putes, les renseignements les plus utiles aux enquêtes policières. Ses potes de la police américaine faisaient souvent appel à lui dans des affaires tordues et se félicitaient de ce concours efficace qui leur évitait de se montrer. Lulu avait ça dans le sang et sa récompense était d’être somptueusement logé dans une suite du Waldorf Astoria, quand il descendait à New York. Personne ne savait vraiment qui payait la note.

Le caviar arrosé de pastis, en buvant une full-libido, était devenu dans les années 2005 le top des top pour la clientèle fortunée harponnée par les escort des agences de New York.  « Un mélange à réveiller un mort disait vieux Joss. » Mais depuis 2008, selon Bob, la Full-libido avait été détrônée par le Black orgasm : Sloe gin, vodka, crème de pêche, curaçao bleu. Cette évolution était due à ce que les boîtes d’escort utilisaient surtout les services de garçons et filles de couleur. Bob qui aimait les beaux garçons ne s’en plaignait pas.

 Marie des Neiges, la sœur de  la disparue, avait raconté que Marcus Jackson et Vieux Joss s’étaient connus quand le croque-mort recousait les morts du Black Panther Party, déchiquetés par les balles du FBI.  Vieux Joss en ce temps là, trafiquait entre Central Harlem et Paris. Très politisé notre  Vieux Joss, mais c’était déjà de l’histoire ancienne, puisque depuis trois ans il avait disparu sans laisser d’adresse.

La petite Margot en avait fini avec ses SMS. Une espèce de géant louchait sur son centre de gravité. Elle s’en rendit compte avec plaisir mais préféra se tagger contre Paulo. Elle avala d’un trait sa full libido. « J’espère que tu ne conduis pas ce soir lui dit Paulo.

–         Hé, cool, tu me reconduiras chez moi.

–         Si tu t’arrêtes là, ya pas de drame et puis Bob est un artiste, pas vrai Bob ?

–         Faut juste mettre la mesure répondit Bob.

–         C’est quoi une mesure ?

–         3cl,  ma chérie, faut savoir qu’un trait ça fait 2ml

–         Et tu te trompes jamais ?

–         Je divise toujours mon verre en dix et ensuite j’y mets 1/10 ou plus, ce qu’il faut pour l’amour et pas plus ma chérie.

Paulo, sa Full libido terminée, posa le carafon et les deux verres sur le zinc où des habitués tenaient une conversation des plus sérieuses. Il tendit l’oreille car il était justement question de Joss et de sa femme, «  mystérieusement évaporés il y a trois ans ». Ted, un habitué du bar plutôt relou ne cessait de répéter « Il lui apportait tous les matins son petit déjeuner au lit. » A la fin, un petit gros à cheveux gras ajouta son grain de sel :

–         Hé, ouais, Flo menait Joss à la baguette. Exactement comme dans l’histoire de Philippe. Du vrai polar »

 Paulo, tout à son métier de keuf privé débutant, s’approcha de ces  amateurs de polar d’un nouveau genre. Le géant remplaça de suite Paulo auprès de Margot. Les protagonistes de la discussion étaient autrefois invités en soirée chez Flo et Joss. Tatiana, vieille copine de Marie des Neiges, balançait autour du bar sa quarantaine pulpeuse, tenant dans sa main un journal tabloïd. Putain ! Elle lit Détective se dit Paulo avec satisfaction avant de l’interpeller. « Hé, Tatiana, j’espère qu’on parle pas de toi dans ce canard de merde ? »

–         Ouais, répondit à sa place, Ted le relou, penché sur Tatiana, ça raconte l’histoire d’un couple qui vivait  comme Joss et Flo.

Toi, Ted on t’a rien demandé, répliqua Paulo, laisse Joss et Flo en dehors de cette saloperie. Paulo s’était depuis quelques semaines si bien intégré au Marcus Bar qu’on avait fini par le prendre pour un vieil habitué. Il parlait comme s’il avait vraiment connu Flo et Joss et personne ne se rendait vraiment compte de la mystification. Ce soir il avait discrètement déposé sur le comptoir un numéro de Détective qui allait, il en était persuadé faire réagir les clients dont certains, espérait-il se dévoileraient. Tatiana était tombée dans le panneau. Il avait déjà sympathisé avec elle lors de longues discussions sur la beauté des lesbiennes. A quarante ans prétendait-t- elle, sa plastique était au top, ayant conservé une fraîcheur que les salopes hétérocentrées avaient perdu à cet âge, à force de se faire enfiler par des beaufs viagrarisés.

Tatiana, majestueuse dans son port de belle femme cougar, tendit à Paulo un journal daté  de mars 2010. Il y  était question de décapitation. Paulo s’exclama « Hé, Tatiana, c’est toi qui a apporté ce canard boiteux ?

–         Non, Bob  me l’a fourgué, un client l’avait laissé sur le comptoir. » Elle s’interrompit, laissant Paulo à la lecture de Détective. Margot, sentant combien Paulo prenait de l’importance dans la soirée, quitta une nouvelle fois le géant pour l’écolo. Elle aimait faire l’élastique entre les mecs. De nouveau collée à Paulo, elle lui demanda : « Ce genre d’histoire, ça arrive souvent aux clients d’ici, non ? » Margot avait dit ça avec un air tellement idiot que Paulo ne put s’empêcher de hausser les épaules avant de la voir s’écarter pour lire ses SMS.

  Dans le bar, on se demandait qui avait bien pu amener ce canard ? D’habitude, c’était hyper cool, ici. Beaucoup de détails sur  d’horribles crimes. Il était surtout question d’un certain Philippe Cousin, condamné par la Cour d’Assises de Saint-Omer en Mars 2010, pour avoir décapité sa femme, une fois assassinée.

 L’écolo se marrait de voir ce petit monde réagir à sa provoc. Cette histoire de tête coupée en glaçait plus d’un. Pour donner le change il regarda du côté de la petite Margot qui, après avoir lu ses SMS était maintenant pendue au téléphone. A la grande surprise de ses voisins elle s’exprimait en afrikaans et en anglais, lâchant parfois quelques mots de zulu et de xhosa. Du moins à ce qu’il en comprenait. Paulo se dit que la petite Margot détendait une atmosphère rendue lourde par l’évocation des crimes, aussi  se remit-il à penser sans appréhension à Vieux Joss et aux meurtriers du journal. Le parallélisme entre les deux affaires lui apparaissait intéressant, d’autant que ça persiflait grave autour de lui.

D’ici à penser que Joss était un tueur comme le Philippe du canard, il n’y avait qu’un pas. Certains n’hésitaient pas à le franchir autour du comptoir. Le petit gros à cheveux gras démarra l’hallali. Paulo avait aperçu ce tas de merde une ou deux fois au Marcus Bar « Vos copains, c’étaient des oufs, comme ce Philippe lança-t-il avant que Tatiana ne s’avance vers lui, menaçante. 

–         Ta gueule, connard »

 Le grossier marqua un temps d’arrêt et persista. « C’étaient quand même des cinglés.

–          T’es qu’une grosse salope, va te faire daufer ailleurs » grogna Tatiana en le propulsant contre un mur. Un miroir se brisa et le gros con se retrouva sur le cul.

Tatiana  reprenant apparemment son calme, s’efforça de sourire, mais ne parvint qu’à produire une grimace simiesque. Gérard, un antiquaire de la rue de Verneuil tenta une diversion pendant que Bob le barman ramassait sans protester les bris de verre : «  Hé, il préparait quand même pas le petit déjeuner aussi bien que Joss, votre pervers de Saint Omer ? Moi je prenais parfois le café chez eux le matin. Joss amenait des confitures de poire qu’il préparait lui-même. Hé Tatiana, raconte un peu tout ce qu’il vous servait avec le café notre ami Joss »

Bob servait maintenant un Absolut-Sex à Lulu, qui, lui aussi, à la demande de Bob l’écolo s’était intégré au groupe des habitués du Marcus Bar. A ses côtés, Barbara, son sac à vison à la main la dépassait d’une tête, mais curieusement ils paraissaient bien assortis. Le petit farfadet frisé, de retour d’une mission à  New York avec Barbara, faisait la grimace devant son drink : « t’a pas mis assez de vodka réclama-t-il à Bob, ton collègue Caleb à Washington Center sert plus généreusement.

–         Ouais, Lulu, c’est à cause du pastis sur le caviar que vous mettez là bas, vous finissez par perdre le goût de tout. Et puis n’oublie pas que l’Absolut-sex, c’est mon invention.

–         Chaque fois… chaque fois que je bois un Asolut-Sex, je pense à toi mon chéri, j’en suis malade. Bob. Je t’aime tellement. Avant de m’endormir le soir, à la place de ma prière, je récite ta recette de l’Absolut-Sex : Vodka, crème de cassis, midori, jus de canneberge, limonade.

–         Moi, Lulu, je pense à toi quand je prépare à mon mec, une blanquette de veau à l’ancienne.

–         T’es con ou quoi ?

–         J’aime la cuisine du temps jadis continua Paulo en secouant son shaker et en garnissant les coupes givrées de branches de citronnelle, de grappes de groseille, de petits oignons blancs, d’ananas en dés et de feuilles de bananier.

–         Moi aussi.

–         T’as raison Lulu, comme poulet à l’ancienne, tu es à la police ce que la blanquette de veau est à la cuisine des mémés.

–         Mais tu me chambres, Bob.

Quand ils se retrouvaient, les deux hommes adoraient se chambrer, même s’ils ne couchaient pas ensemble. Ils arrêtèrent ces assauts à fleuret moucheté pour écouter la suite de la conversation entre les habitués.

L’impayable petit gros à cheveux gras, remis sur ses jambes, relança la polémique : « c’est vrai que c’était une vraie poire ce Joss. » Le géant de la petite Margot se mit à frapper le petit gros. Le malheureux  s’écroula de nouveau  par terre et personne ne s’occupa plus de lui, à part Bob qui le remit sur pieds avec l’aide de Lulu.

  En dehors de Lulu et Paulo,  Bob parlait peu au boulot. Il se contentait de préparer ses cocktails. Personne d’ailleurs ne lui demandait autre chose. S’il  regrettait son ami Joss, dont il aurait aimé avoir des nouvelles, il pensait que son vieux pote lui ferait signe un jour ou l’autre, même si depuis trois ans il n’avait pas donné signe de vie. Où était-il ? Bob avait sa petite idée, car il détenait pas mal de documents que le vieux, craintif devant sa femme lui avait confié pendant des années avant de prendre la poudre d’escampette. Bob avait de l’estime pour Paulo et Lulu. Ils respectaient, sans en parler, sans poser de questions, ce que Bob considérait comme le départ volontaire de Joss. 

 Lulu se tourna vers Paulo : « C’est quoi ce turbin ? Ils ont pas assez bouffé de crêpes chez Joss à la mi-carême, ces enfoirés ?

–          Il les fourrait même avec des confitures, ces putains de crêpes, précisa Paulo

–         Ouais, ils n’ont même pas la reconnaissance du ventre, renchérit Lulu.

Les deux potes en restèrent là dans leur conversation, tant ils étaient écoeurés par tous ces rabatteurs d’échafaud qui, trois ans avant, accourraient déguisés chez Joss et Flora, lors des soirées costumées de la rue des Moulins.

On ne pouvait pas la faire à un vieux flic comme Lulu. Pour lui, pas de rapport entre le fait divers de Détective et la disparition de Joss et Flora.

La question posée autour du zinc était claire : l’un des deux avait-il tué l’autre avant de disparaître ? Certains l’affirmaient. Paulo n’en croyait rien, mais il se demanda quand même pourquoi la famille du couple avait-elle alors entretenu une atmosphère de drame autour de ce qui n’était qu’une banale disparition ?

 Samuel, un antiquaire de la rue des Saints Pères,  ramena lui aussi sa fraise : « Et si Joss et Flo étaient morts dans l’une de leurs crises sadomaso ? » Cette fois, Paulo exprima son point de vue : « Et si c’était un renoncement à vivre dans le Paris du XXIème siècle avec des cons comme toi ? 

 – Paulo, tu n’y penses pas !

–         Si, justement.

–         N’oublie pas que Flora humiliait beaucoup Joss

–         Et si Joss s’en accommodait ?

–         Mais c’est qu’elle le rabaissait sans cesse, comme si cet instituteur était un pauvre type.

–         Et si ça le faisait bander d’être humilié? 

L’antiquaire Samuel, suggéra ni plus ni moins que les humiliations avaient conduit Joss au meurtre, comme Philippe dans le récit de Détective.

 Tous les ex- invités de la rue des Moulins, donnaient leur version. Pour Jo, autre antiquaire, de la rue de l’Université, tout était simple. « S’il y a eu meurtre, c’est à cause de leur côté sadien. Ces deux là étaient obsédés par les scènes de décapitation.  »

Tatiana vint vers Paulo et lui dit à l’oreille : « Tu sais Paulo, je reçois des lettres anonymes, comme si c’était Flora qui écrivait.

–         Ah ouais ? dit-il en terminant son verre. Elles sont postées d’où ?

–         Justement, elles portent le cachet de la rue Molière.

–         Et pourquoi ça t’étonne ?

–         C’est de ce bureau que Flora postait son courrier.

Pensif, l’écolo se servit un autre verre de Full libido et demanda. « Tu n’as jamais eu la moindre nouvelle d’elle ?

–         Ni d’elle, ni de Joss !

–         On dit qu’ils sont morts. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi personne ne savait plus rien d’eux ?

–         Et toi, avec tes relations dans la police, avec ton copain Lulu, tu n’as jamais cherché à savoir ce qu’ils étaient devenus ?

–         Tu sais ma chérie, des gens disparaissent pour être tranquilles. Il faut leur foutre la paix. Mais si tu veux je me renseignerai. »

 La voix de Tatiana, si faible tout à l’heure, ne cessa de s’amplifier. « C’est des invitations pour l’expo d’Orsay, Crime et Châtiment que je reçois, je suis sûre qu’elles ont un rapport avec Flo et Joss »

 A les entendre tous, Paulo se demandait si, après tout, le couple décrié n’avait pas eu raison de mettre les voiles. Il murmura en lui-même « on devrait leur foutre la paix, ils sont partis à la recherche d’un ailleurs. » La petite Margot, revenue vers lui, son Blackberry à la main, le tira de ses réflexions « Discute pas avec cette vieille mytho, lui demanda-t-elle » Paulo sentit que la rage envahissait la gamine, il n’aimait pas voir les femmes en colère, ça lui rappelait trop sa mère, alors il l’emmena un peu plus loin, mais quand même pas trop, car il voulait suivre la conversation.

La petite Margot collée contre lui, il entendit l’antiquaire Samuel revenir à la charge avec son assurance d’expert en gravures anciennes : « J’étais souvent invité chez eux, rue des Moulins »  Tatiana l’interrompit violemment : « Occupe-toi de tes couilles, connard ». De nouveau le géant s’approcha de Samuel en agitant ses battoirs. Mais cette fois Tatiana l’empêcha de frapper.  Samuel en profita pour faire l’important : « Croyez-moi, chez eux  il régnait une atmosphère étrange, une odeur perverse de parfums enivrants et surtout les reproductions de tableaux de Gustave Moreau et d’estampes morbides de Jean Luyken. Tout ça accroché sur les murs d’une enfilade de pièces tapissées en rouge vif. »

La petite Margot s’était assise sur le rebord du comptoir, pour être à sa hauteur afin de mordiller l’oreille de l’écolo qui se mit à bander. Il était capable d’être en même temps présent pour réagir aux caresses de la gamine, mais en même temps absent pour penser  que l’antiquaire Samuel se la jouait. La petite Margot stimulait maintenant l’intérieur de son oreille avec une langue incroyablement souple, d’une dextérité semblable à celle des chats  quand ils lèchent. Paulo en frissonna de plaisir. On lui avait dit que Flora avait aussi un chat qui  léchait les oreilles, si bien que, rue des Moulins, il aurait pu découvrir à peu près en même temps l’affection des chats, Gustave Moreau et  la légende de Salomé. Malheureusement à cette grande époque il était encore à L’ENA.

 On lui avait raconté les soirées de la rue des Moulins. Joss y tournait en dérision les mises en scène continuelles de sa femme, une dominatrice qu’il  manipulait habilement en faisant l’imbécile. C’est Marie des Neiges qui le répétait, si bien que Paulo se demandait si elle ne kiffait pas Joss au point de payer une enquête pour aller le récupérer là où il se planquait. Joss, selon Marie des Neiges, répétait en rigolant «  la beauté est la meilleure arme des femmes… pour faire perdre la tête aux hommes » Un vieux briscard comme Joss,  ne pouvait être influencé par le carnaval dans lequel sa femme le plongeait. Lequel des deux téléguidait l’autre ? Peut être aucun. Paulo alla même jusqu’à penser qu’il y avait essentiellement dans ce couple une sorte d’interdépendance sadomasochiste.

La petite Margot, du haut du comptoir se pencha vers lui. Il  put voir de près ses longs cils à la limite du  blanc. Elle lui dit d’un air dégoûté : « j’ai l’sum, c’est quoi cette histoire, putain de Dieu ? » Il pensa d’abord qu’elle ne pouvait pas comprendre, puis il se décida à lui dire :

 « Margot, imagine un peu que ta maman soit accusée par un mec, un certain Jean Baptiste de manquer de moralité. Ferais-tu  pour autant décapiter le mec, surtout si tu es amoureuse de lui ? Afin d’obtenir la tête du mec, exciterais-tu  le roi avec un strip ? Danserais-tu pour lui, la danse des sept voiles ? Parlerais-tu enfin à la tête de mort de ton mec, avant de l’embrasser sur les lèvres ? 

–         Maman s’en fout pas mal de la moralité et, pour le strip,  c’est une championne rétorqua Margot. Elle danse dans un cabaret de Johannesburg. A trente quatre balais elle ferait encore bander un mort. Mais embrasser une tête de macchabée, certainement pas. Tu ferais mieux de demander des trucs comme ça à la grande jument qui te mate tout le temps, dit-elle en désignant imprudemment du doigt Barbara qui à tout moment pouvait lâcher Brigitte.

Décidément pensa Paulo, la petite Margot avait une façon bien à elle de comprendre la légende de Salomé. Margot très coquine et toujours grimpée sur le comptoir retira lascivement son boléro. Les discussions sur la décapitation du Pas-de-Calais cessèrent, tellement l’assistance était interloquée par les tatouages de Margot, surtout celui d’un bébé avec un sexe énorme. Avec l’impudence de ses dix huit ans, elle  désigna ensuite Tatiana du doigt. « La vieille, elle aussi va nous faire la danse des sept voiles ? Paulo n’eut pas le temps de répondre, son portable vibra dans sa poche. Un SMS.

On t’attend ce soir chez Dany

C’est sûr qu’il allait passer chez Dany un bon réveillon, il y avait à Paris en ce moment une grosse hype sur les soirées de réveillon simplifiées et chaudasses.

 

La petite Margot descendit du comptoir où elle était encore juchée, se colla à lui et l’enfonça dans son désir avec un mouvement circulaire du bassin. A par le géant et sa victime, le petit gros à cheveux gras, ils étaient les derniers dans le bar. Au bras de Lulu, Barbara s’en était allée avec un regard méprisant pour la petite Margot. Les autres étaient partis après eux, comme si le tatouage de l’enfant à gros sexe sur le corps de la petite les avait fait fuir. Margot lui demanda de la ramener chez elle. «  Je veux danser pour toi  au réveillon

–         Quoi ?

–         La danse des sept voiles. »

Paulo fit la moue car elle ne pourrait retirer toutes les deux minutes une pièce de vêtement, avant de finir à poil, comme Flora et Tatiana, du temps de la rue des Moulins. Comme Salomé, elles avaient sept voiles à enlever et Paulo savait bien que ce soir, la petite Margot, vu ce qu’elle portait sur elle, n’aurait pas  les sept pièces de vêtement indispensables pour cette danse qui l’excitait tant. Le désir de Paulo risquait bien de rester en suspens en cette soirée de reiveillon, et puis il avait peur des femmes, même petites. Alors il la confia au géant  fasciné par son centre de gravité très bas. Le petit gros à cheveux gras les suivit. Dans la bagarre il avait perdu une dent  et tâché de sang sa chemise. La petite Margot se tourna vers Paulo en lui lançant un prometteur : « je t’appelle asap »

 » OK, Margot, As Soon As Possible. En attendant, je te souhaite un joyeux réveillon avec tes deux bouffons. »

Lee Roy Un réveillon qui s’annonce bien

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3 commentaires pour “Lee Roy Un réveillon qui s’annonce bien”

  1. avatar hamid dit :

    Inquiétant et étrange. C’est pas pourtant un roman noir. On pense à Easton Ellis dans ce début de roman très post-moderniste américain. Dialogues canailles où se mélangent du Audiard et du Virginie Despentes. le style sec et vif amplifie l’étrangeté de cet écrit dont on voudrait voir la suite sur ce site car le roman psychologique actuel nous laisse sur notre faim.

  2. avatar Laurent dit :

    C’est vous Lee Roy qui en êtes l’auteur ?

  3. avatar manon dit :

    Le style gouailleur, rapide et sec de Lee Roy vire jusqu’au décousu, laissant au lecteur un sentiment de malaise qui convient bien à ce début de roman vraiment proche de la littérature décadente fin de siècle. Lee Roy, vous n’avez que 120 ans de retard !

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