Chateaubriand: Mémoires d’Outre-Tombe

Critique de le 28 décembre 2009

Je n‘ai pas aimé...Plutôt déçu...Intéressant...Très bon livre !A lire absolument ! (267 votes, moyenne: 3,99 / 5)
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Littérature

memoires-d-outre-tombe.jpgEcrire ces lignes sur les Mémoires d’Outre-Tombe, entraîne une question : que laisse-t-on à la postérité ?Qu’allez-vous laisser à la postérité, vous, lecteur ?Cette question vous préoccupe-t-elle ?

Elle ne me préoccupait pas.

Maintenant c’est différent.

J’imagine Chateaubriand accroché les 18 dernières années de sa vie, à ce qu’il va transmettre.

J’imagine Chateaubriand  renonçant à son réel pouvoir politique, pour écrire.  Lamartine, Barrès et Malraux ne l’ont pas fait.

Julien Gracq attend patiemment de s’éteindre.

Paul Léautaud s’écrie avant de mourir : « Maintenant foutez moi la paix ! »

Les Mémoires d’Outre-Tombe, c’est vraiment le style morbid chic.

 

Son enfance solitaire dans le vieux château de Combourg, symbole d’une famille de Bretagne,  le prédisposait  à écrire ces Mémoires d’Outre-Tombe.

Mais avant l’Outre-Tombe, il faut vivre intensément : il embarque pour l’Amérique,  visite le Canada, revient en 1792.

Le déracinement de l’émigration à Londres, pendant la Terreur, avec la rédaction de l’Essai historique, politique et moral sur les révolutions (1797)  annonce l’écrivain.

Le retour en France  après le 18 brumaire ouvre une période d’apothéose littéraire dans laquelle, les Mémoires d’Outre-Tombe, s’enracinent : Atala (1801), le Génie du Christianisme(1802), René (1805). L’empire l’inspire !

 

La jeunesse orageuse et rêveuse de Chateaubriand est terminée.

 Paris, scande  la fin de sa carrière de soldat et de voyageur et, en même temps dévoile ses secrets intimes. Voyageur, il a toujours prié, sans pour autant rien sacrifier à ses rêveries voluptueuses : « Un soir je lisais dans la chambre du capitaine ; la cloche sonna : j’allai mêler mes vœux à ceux de mes compagnons ». On a ainsi dans les mémoires des reprises abrégées des autres écrits.

 On pense ici à la fameuse page du Génie du christianisme : « La prière du soir en mer » ; voir O.C., tome XI, p. 254-256.-  Le jeune voyageur fait la part belle à des sortes de fantasmes voluptueux,  nimbés d’un ritualisme spiritualiste et religieux, à la Rousseau. Il poursuit ses rêves, lorsqu’en 1806 il part pour l’Orient, dont il rapporte les Martyrs (1809) et l’Itinéraire de Paris à Jérusalem (1809).

Chateaubriand s’exprime dans un style flamboyant, riche en images, même s’il se perd souvent dans l’enflure d’une prose poétique qui n’est ni prose, ni poésie. Je le préfère dans les sujets historiques où il se montre un admirable écrivain, ample et ferme, plein de couleur et de vie. Ainsi, le dernier repas des martyrs (Les Martyrs, livre XXII) : «  Il y avait à Rome un antique usage : la veille de l’exécution des criminels condamnés aux bêtes, on leur donnait à la porte de la prison un repas public appelé le repas libre .Dans ce repas on leur prodiguait toutes les délicatesses d’un somptueux festin… »

Le  style de Châteaubriand permet d’exprimer une « pensée située » au sens où Max Jacob l’entendra plus tard. Dans les Mémoires il livre ses secrets affectifs, de telle manière que l’on puisse comprendre l’origine des sentiments jusqu’alors prêtés aux êtres imaginaires de sa création, tels que René. Universalité du songe humain. Double thème du souvenir et de la mort. L’immortalité de sa foi chrétienne ne suffit pas. Chateaubriand, comme certains autres veut être immortel.  Sa gloire,  perpétuera son souvenir, dans la mémoire des hommes

 

Aujourd’hui, je ressens combien Chateaubriand a voulu  enfermer dans ses «  Mémoires d’Outre- Tombe », non seulement sa vie, mais toute son époque. Des aspects du livre que j’avais délaissés, il y a vingt ans, prennent maintenant, pour moi, davantage d’importance. Aspects charmants : amour, élévation amoureuse et religieuse, courage, gravité pré-funèbre, modelage de la vérité, raisonnement moderne, auto-dérision. Aspects moins séduisants : égoïsme et mépris des gens de peu.

 J’ai donc relu, avec mes yeux d’aujourd’hui, ces Mémoires que Chateaubriand  prépara dès 1803, auprès du sépulcre de Pauline de Beaumont, pour adoucir sa douleur. A trente-cinq ans, il se tourna vers son bref passé, y pénètra avec une religieuse circonspection, teintée d’égoïsme. Pauline de Beaumont, fille d’un ministre guillotiné de Louis XVI, l’imprégna d’amour et de vertu royaliste. Douce perméabilité aux femmes, à moins que ce ne soit le contraire. Mais avant l’amour, quelques mots sur l’égoîsme.

Egoïsme.

En 1809, il trace d’abord ce titre : Mémoires de ma vie commencées en 1809. Egoïste perspective qui le pousse à écrire de belles phrases : Je suis très peu sensible à l’esprit et j’ai horreur des prétentions. Aucun défaut ne me choque. Je trouve que les autres ont toujours sur moi une supériorité quelconque. Lui seul se met en cause, c’est «  l’histoire de ses idées et de ses sentiments ». Une sorte d’autobiographie psychologique. Les évènements politiques freinent les Mémoires : hostilité de l’empereur, faveur rétive de Louis XVIII, disgrâce en 1816, pour avoir écrit la  Monarchie selon la charte.

Elévation amoureuse et religieuse.

 De douces inspiratrices l’accompagnent dans son œuvre, prolongeant le sourire disparu de Pauline de Beaumont, entre autres Madame de Duras, mais surtout l’enchanteresse Madame Récamier, angélique incarnation de son insidieuse « démone », pieusement courtisée à l’église Saint Thomas d’Aquin, surtout pendant l’élévation où il lui chuchotait des mots troublants.

Mépris des gens de peu.

 En 1826, Madame Récamier lit devant un auditoire choisi, les trois premiers volumes des Mémoires de ma vie, qui correspondent actuellement à la première partie des Mémoires d’Outre-Tombe. Ministre déchu, en juin 1824, puis ambassadeur à Rome en 1828 et 1829, il a le temps de rédiger  la longue partie où Napoléon (qu’il appelle Buonaparte dans ses moments mesquins) se dresse au centre de sa fresque. Madame Récamier pourra ainsi continuer à lire du Chateaubriand devant des auditoires peu napoléoniens, de plus en plus intéressés. Oui, j’ai dit mesquin  car Napoléon avait bien gagné son nom français. C’est comme ceux qui prononcèrent « Mitterrand », « Mitran » Et puis, pourquoi un écrivain tellement supérieur se préoccupe-t-il d’un petit immigré ? 

Cynisme.

Alors que depuis les tragédiens grecs on vilipende les duels fratricides, Chateau briand, n’est aucunement embarrassé par la guerre civile. Il la justifie même dans les Mémoires d’Outre-Tombe (XXXIV, 4),  se campant dans le clan de l’ordre en répétant : ne pas faire de sentimentalisme. Etonnant pour un homme qui déclara avoir souffert des sauvageries de la révolution. Il ne prendra ses distances avec les évènements, que lorsqu’il aura tout perdu en politique, adoptant alors ce ton moqueur qui lui va si bien.  Réactionnaire.

 Sa description de la prise de la Bastille  en témoigne : « assaut contre quelques invalides ». Mû par le mépris, il ne ressent pas la liesse populaire : « on promenait dans des fiacres les vainqueurs de la Bastille, ivrognes heureux, déclarés conquérants au cabaret ; des prostituées et des sans-culottes commençaient à régner, et leur faisaient escorte ». En 1848, avant de s’éteindre, il a encore cette vision rétrograde du 14, juillet. L’aristocrate reste insensible au symbole.  Le Courage.

 Le soir du 7 août 1830, après avoir refusé de prêter serment à la monarchie « usurpatrice » de « Philippe », Chateaubriand se retrouve seul, en face de sa vieillesse. Il  accumule alors les sacrifices : renoncement au ministère d’Etat, à la paierie et à la pension qui lui était attachée. Courage de cet homme qui a évolué d’un monarchisme ultra vers la modération et qui va jusqu’à être vrai dans l’invraisemblable. C’est de tout perdre en politique qui lui permet d’élever sa pensée

Gravité pré-funèbre.

Contre les dédains et les oublis, Chateaubriand transforme ses Mémoires, en un  instrument d’orgueilleuse revanche et travaille son style afin de rivaliser avec les jeunes romantiques comme Victor Hugo. Les lectures organisées par Madame Récamier dans son grand salon de l’Abbaye-aux-Bois ont un éclatant succès, lorsqu’en 1836 tombent les premiers mots de l’œuvre : Mémoires d’Outre-Tombe-Préface testamentaire. L’assistance est parcourue par le frémissement » d’une gravité triste, pré-funèbre.

Arrangeur de  vérité.

 Dans Paris, l’écho de ces lectures triomphales se propage. La presse publie de larges extraits. Edgard Quinet est admiratif sur l’ensemble des Mémoires, avec une préférence pour le voyage en Amérique. La raison ? Il est véridique dans  ce qui semble invraisemblable. Pourquoi ? Parce qu’il arrange la vérité dans le registre de ce qui est croyable. Ainsi, il décrit Talleyrand lisant un discours devant la chambre des pairs. En vérité, Talleyrand a écrit le discours, mais ne l’a pas prononcé. Talleyrand était son centre d’intérêt. Pourquoi ?  Il ne supportait pas la corruption spirituelle de Talleyrand, son prédécesseur au ministère des Affaires Etrangères

Logique moderne.

L’achèvement des « Mémoires » de 1836 à 1841 est patiemment suivi par le lectorat de l’Abbaye-aux-Bois, étendu chaque dimanche à l’élite de la fashion parisienne, savants, duchesses et jolies femmes. A l’automne de 1841, il rédige sa conclusion, assombrissant les pages déjà rédigées, prédisant la mort prochaine de «  la vieille Europe ». Le raisonnement est moderne : il ne juge pas les mœurs modernes en fonction de critères anciens, il mentionne les faits, tous les faits, même ceux qui le contredisent.

Contempleur de sa mort.

Ayant tout dit, détourné de la terre, le 16 novembre 1841, il regarde le ciel et écrit : «  Je vois, les reflets d’une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. Il ne me reste qu’à m’asseoir au bord de ma fosse ; après quoi je descendrai hardiment, le crucifix à la main, dans l’éternité. » Les Mémoires sont enfin terminées.

 Auto-dérision.

Jusqu’en 1848, il se limite à relire et corriger. Il peut regarder « outre-tombe, son legs est prêt pour la postérité. Chateaubriand a brossé son   portrait d’homme d’inquiétude et de flammes, de désir et d’orgueil. Comme la mer de Bretagne, il est le roc et il est l’ombre. Il aura voulu s’égaler aux plus grands. Son  « Napoléon ou moi », un tantinet ridicule, explique son obstination à devenir un homme d’Etat, lui, l’écrivain. Mais il s’en est rendu compte. Il a même fini par se railler lui-même. C’est un grand seigneur. Il se moque des seigneurs, tout en rappelant qu’il  en est  un. Orgueil encore, lorsqu’il peint son couple avec Madame Récamier, comme idéal, symbole de beauté et d’absolu. Ultime séduction.

Même lit de mort que Napoléon.

 Au matin du 4 juillet 1848, serré dans les bandelettes de la mort, François de Chateaubriand est allongé sur son petit lit de fer, pareil au lit funèbre de Napoléon. A ses pieds, un coffre, avec les mémoires qui vont lui survivre.

 Un rythme-ricochet.

 «  Lorsque j’entrepris la chance de devenir le favori d’une des deux puissances, je frémis ; la poste ne me semblait pas assez prompte pour m’éloigner de mes honneurs possibles. »

Le désenchantement l’enchante.

Plus Charles  X  tombe, plus il le soutient. Il  a défendu les indiens de la même façon. Il ya chez Chateaubriand comme une désintrication des pulsions de vie et des pulsions de mort, ces dernières, jouant souvent en solo pour leur propre compte. Heureusement la force des femmes qui l’entourent confortent l’armature d’un moi chahuté. Chateaubriand leur en est reconnaissant au point de complimenter les amants de ses maîtresses. Ainsi, parle-t-il de Benjamin Constant, comme «  l’homme qui a eu le plus d’esprit après Voltaire » ! Chateaubriand peut agacer, mais il charme toujours.

 S’interroger sur ce qu’on laisse, sur la mort et nos morts, c’est vivre une forme de spiritualité à laquelle nous a récemment invité  Dany Laferrière dans son livre,  l’énigme du retour. 

Ne  pas perdre la gravité du frémissement pré-funèbre, pour nous-mêmes et nos morts. Chateaubriand nous y a invité.

Retenons ces mots de Chateaubriand :

« Tout est-il vide et absence dans la région des sépulcres ? N’ya-t-il rien dans ce rien ? N’est-il point d’existences de néant, de pensées de poussière ? Ces ossements n’ont-ils point des modes de vie qu’on ignore ? Qui sait les passions, les plaisirs, les embrasements de ces morts ? (Mémoires d’Outre-Tombe, XXII, 25.)

Chateaubriand: Mémoires d’Outre-Tombe

3 commentaires pour “Chateaubriand: Mémoires d’Outre-Tombe”

  1. avatar Innocence dit :

    La prochaine fois, tu nous recopies l’encyclopédie?

  2. avatar bruno chauvierre dit :

    Non, je préfère Libérati

  3. avatar Malika Grâce dit :

    La tombe; Le cimetière.Votre analyse se rapproche de celle que vous avez donnée pour Laferrière, la citation de Chateaubriand est troublante dans sa proximité avec laferrière, mais je suis pas sûre que vous vous en soyez rendu compte.

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