« Pitié pour Constance », du juge André Fortin

Critique de le 6 février 2012

Je n‘ai pas aimé...Plutôt déçu...Intéressant...Très bon livre !A lire absolument ! (7 votes, moyenne: 4,00 / 5)
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Roman

Par passion-romans

« Je ne suis pas venue vous dire que les gens souffrent, on vous l’a dit avant moi, la compassion est à la mode. Je suis venue vous dire, moi, qu’il y a des gens désespérés, oui, désespérés! … Ceux-là se sentent aussi perdus et oubliés, reprend Constance, mais pas seulement: ils ont compris qu’on leur a menti, qu’on leur a fait de fausses promesses, qu’on leur a joué l’air des lampions. …

Ceux-là sont le peuple qui se soulève contre le vol, l’oppression et le fascisme rampant que nous connaissons tous et que vous, vous craignez de dénoncer. Et, comprenons-le bien, ils se soulèvent aussi contre eux-mêmes car les révoltés d’aujourd’hui feront les terroristes de demain! Ceux-là, je vous le dis solennellement, nous, nous sommes à leur côtés! »

Ce sont par ces mots que s’est exprimée Constance Sicardi, lors d’un meeting unitaire de la gauche, dans la salle du Dôme, à Marseille. Constance, jeune fille dans la vingtaine, est une figure montante du milieu ultragauche et son charme, son charisme et sa grâce suscitent déjà bien des émois. Mais contrairement à certains de ses semblables, cette fille cultivée et éclairée, attachée à la lecture et à l’Art, semble être plutôt modérée. Très active, elle se bat pour le monde ouvrier, soutient les grèves ou encore met en place quelques actions ponctuelles.

Constance, c’est aussi la fille d’Albert Sicardi, un député proche du pouvoir, influent, qui s’affiche plutôt du côté de la droite, même très à droite. Cela ne l’enchante guère de voir sa fille s’engager dans ce milieu alter mondialiste, soit une position tout à l’opposé de son parti. D’autant plus que cela lui fait de l’ombre et perturbe sa carrière prometteuse. Mais pourrait-il tout de même la comprendre, elle qui ressasse sans arrêt qu’il fait partie d’une politique de faux-culs, de menteurs? Aurait-elle raison? Position difficile pour cet homme politique qui voit sa fille s’éloigner de plus en plus, sa petite fille qui était sa complice, sa fierté, l’enfant bien en avance sur son âge, qui lui a appris tant de choses. Sentiments mitigés, gros dilemme; il l’aime et il la hait.

Au terme de ce meeting gauchiste à Marseille, Constance se fait enlever dans la rue par de faux journalistes. Il s’agit au fait d’un commando issu d’une organisation appelée « La Cellule Grise », mise en place par des personnes très proches du pouvoir français. Le président de la République semblerait être impliqué dans la conception de cette structure, mais délègue tout à son conseiller en lui laissant « carte blanche ». Un manque de contrôle désolant de la part d’un président qui paraît bien décevant et immoral! Un pantin aux mains propres, style « je ne suis au courant de rien! ». Mais bon, ce qui compte c’est d’être au pouvoir et de bien se faire voir des américains!

Comment? Par exemple en acceptant d’organiser des opérations commando en tout genre – bien entendu orchestrées par le gouvernement -, soit des enlèvements de terroristes oeuvrant sur le territoire américain, en coordonnant des recherches, des filatures, mais aussi des éliminations… Quel beau service rendu! D’où la création de cette organisation « La Cellule Grise ». Ces basses besognes sont exécutées par des professionnels venant de milieux militaires, criminels voir même peut-être d’anciens flics pourris? Quoiqu’il en soit, mieux vaut ne pas être dans le collimateur de cette organisation. Devrais-je dire dans le viseur de l’Etat?

« Un autre type qu’on avait éliminé proprement après l’avoir enlevé tout aussi proprement, c’était un syndicaliste, un syndicaliste de Marseille qui foutait le bordel dans le port. Pourquoi lui? Gomez ne s’était même pas posé la question; les syndicalistes, les communistes, toute cette clique, il ne pouvait pas les encadrer, il les aurait tous fait déporter dans des camps, des goulags, en Sibérie, pour y crever, y crever de froid, ils ne méritaient que ça. Ils étaient responsables du déclin de la France, des ennuis de l’occident et de la mort de quantité de camarades, surtout. Ce connard de syndicaliste, tout bien considéré, il ne pouvait que les remercier, pas de camp, pas de goulag, pas de froid. Tué sans bavure et, puisqu’il aimait le port de Marseille, bienheureux qu’on en ait fait ensuite sa sépulture! Il devait en ce moment reposer par le fond, bien arrimé à un solide bloc de béton, sa pierre tombale.

Quatre autres y étaient encore passés dont deux, des islamistes, qu’on avait enlevés pour les Américains qui n’en avaient plus voulu ensuite. Comme il n’était pas question de les relâcher et qu’on savait bien ce qu’auraient répondu les Amerloques si on leur avait posé la question, l’élimination s’était imposée d’elle-même.  On avait fait le job, le minimum, on le leur avait même pas tourné la tête vers La Mecque, faut pas trop en demander! »

Suite à l’enlèvement de Constance, le juge Galtier va tout mettre en oeuvre pour mettre la main sur les auteurs de cet acte inconsidéré et retrouver la jeune fille. Le magistrat va peut-être tomber sur une vérité qui troublera sa vision de la Justice. Ou alors le savait-il déjà au fond de lui?

Ce récit politico-judiciaire nous est écrit par une plume tenue par un ancien juge d’instruction et cela se remarque agréablement bien. L’auteur connaît son sujet, à savoir le milieu de la justice, ses faiblesses, ses finesses, mais aussi ses contacts navrant avec la sphère politique. Le roman est écrit à la troisième personne et nous avons donc une vision globale sur chaque personne impliquée, présentées et décrites par le narrateur. Qui? On ne le sait pas. Par contre, lorsqu’il s’agit du juge Galtier, qui est en charge de cette affaire, nous pouvons suivre ses propres sentiments et sa propre vision de ce qui se passe. C’est lui qui nous parle directement. Ses confidences, son intimité, ce qu’il pense de la justice d’aujourd’hui et ce qu’il pense de l’affaire qui l’occupera lorsqu’il en sera en charge. Concrètement, nous pourrons nous fier qu’à son jugement, chose qui semble bien maigre pour nous, lecteurs curieux de connaître VRAIMENT ce qui se trame!

André Fortin, par la voix du juge Galtier, nous livrerait-il sa propre vision de la justice? Une justice cassée par le manque de séparation des pouvoirs, où le milieu politique semblerait se mêler d’un peu trop près aux valeurs fondamentales d’une justice indépendante, peut-être jusqu’à vouloir manipuler les magistrats? Toutefois, ce récit – aberrant? – fait froid dans le dos si l’on essaye d’imaginer une seule seconde qu’il est vraisemblable. L’auteur, au début de l’oeuvre, nous met en garde en nous mentionnant que ce roman est une fiction et que toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite. Franchement, je le crois, mais est-ce vraiment QUE de la fiction? Allez savoir… Ce qui est sûr, c’est que l’auteur s’auto-flagelle en dénonçant une justice passablement malmenée avec des magistrats devenant de plus en plus malléables et influençables. Venant d’un juge d’instruction, c’est assez courageux de sa part!

L’auteur appuie peut-être là où ça fait mal et bien que le milieu politique soit totalement bafoué et humilié dans ce roman, par ses personnages lamentables, nous pouvons tout de même nous demander où s’arrête la fiction. Entre un conseiller du président totalement lâche, abject et méprisable, un président de la République tout aussi répugnant, qui ne pense qu’à son ego et à son pouvoir ou alors des ministres qui ne dégagent pas franchement un sentiment de respect et de confiance, le lecteur ne pourra qu’éprouver du dégoût et peut-être même de la pitié envers ces « grands » personnages sordides et crapuleux. Mais bon, c’est de la fiction nous rassure-t-on…

Mais heureusement il y a ce juge d’instruction Galtier qui est là pour faire pencher la balance – de la Justice? – du bon côté, un homme envers lequel le lecteur se sentira très proche, un magistrat humain, perspicace et droit – enfin un! – qui va tenter de mettre de l’ordre dans cette affaire d’enlèvement, respectivement dans tout ce ramassis de connerie politique. Mais finalement ce « petit » juge de Marseille, que peut-il faire contre ce mastodonte qu’est ce milieu de pouvoir politique? Quoiqu’il en soit, il restera un homme d’honneur, et ceci envers et contre tous.

L’auteur nous plonge également dans ce sous-sol, à Barcelone, où Constance se trouve en captivité. Nous la suivons jours après jours, surveillée par quatre membres de ce fameux commando. Toutefois, elle ne va pas se laisser dominer – c’est une femme d’action! – et ses tortionnaires vont en faire les frais. Par ses gestes d’abord, mais surtout par ses paroles… Des remises en question qui pourront peut-être la sauver? Mais le sens de l’honneur et de la mission de ces hommes sera tout de même fort et Constance va commencer à franchement douter sur l’issu que lui réserve ses bourreaux.

Dans ce roman, l’honneur d’un de ces hommes justement sera mis à l’épreuve et la vie de Constance en dépendra. André Fortin nous offre un dénouement assez logique, dur mais logique, lors duquel cet homme d’honneur, ce soldat, va donner la direction finale. Bonne lecture et vive la politique!

Détails sur « Pitié pour Constance », du juge André Fortin

Isbn : 2914704763

« Pitié pour Constance », du juge André Fortin

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