Bret Easton Ellis Suite(s) Impériale(s)

Critique de le 27 octobre 2010

Je n‘ai pas aimé...Plutôt déçu...Intéressant...Très bon livre !A lire absolument ! (278 votes, moyenne: 4,15 / 5)
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Littérature Psychologie Roman

suite-imperiale-bret-easton-ellis.jpgAvant de passer Noël à Los Angeles, il vous est recommandé d’offrir ce livre à votre conjoint. Je vous suggère de téléphoner à Bret Easton Ellis afin d’être invité(e) dans la fête de vos rêves. Il peut aussi réserver pour vous la suite 1508 au Doheny Plaza.

 Clay, le protagoniste de Moins que zéro  revient à Los Angeles, vingt cinq ans après, comme scénariste d’un film tiré de son livre écrit dans cette lointaine période. En échange de faveurs sexuelles il promet un rôle de choix à Rain, la coqueluche des quinquagénaires de LA. Clay va se retrouver, au centre d’une série de meurtres, peut-être liés au cartel de la drogue. Parallèlement à une intrigue soutenue, l’univers dépravé de LA, fait ressortir le mal être de Clay,  manipulateur induisant chez les femmes une véritable interdépendance sadomasochiste.

On connaît l’univers de Bret Easton Ellis, nimbé dans la psychopathologie criminelle, la soif de pouvoir, l’avidité de plaisir, les aspirations destructrices.

Dans cet univers, l’auteur nous offre un polar, soutenu par des dialogues vifs, rythmant l’histoire de façon haletante.

Qui a tué le vrai Jullian Wells avec cent cinquante-neuf blessures venant de trois couteaux différents ?

Qui a dépecé Kelly Montrose et fait disparaître ses mains après les avoir coupées ?

La vidéo de son assassinat qui circule sur le net est-elle authentique ?

Quel est le pire truc fait par Clay ?

Pourquoi Julian maque-t-il sa petite amie ?

Pourquoi tous ces évènements conduisent-ils à Clay ?

Clay est-il persécuté ou victime d’hallucinations ?

Suite(s) Impériale(s) répond à toutes ces questions.

Il ne vous reste donc plus qu’à lire le bouquin.

Vous découvrirez aussi comment Clay forme avec Rain un couple démentiel. Ils se manipulent dans une véritable interdépendance sadomasochiste. Il profite d’elle sexuellement. Elle attend qu’il lui donne un boulot.

Win Win.

Rain vit avec Amanda, mais aussi avec Julian. Tout le monde se trompe. Chacun a peur d’être assassiné, sauf Blair, la femme de Trent, lui aussi  fou de désir pour Rain. Ils sont tous fous de Rain et ça donne de la valeur à Rain. Elle pèse de plus en plus lourd en dollars.

Rain est mauvaise actrice au cinéma mais bonne actrice au lit. Alors Clay la garde avec lui,  laissant croire qu’il la pistonnera pour obtenir un rôle dans le film tourné à partir de son roman. Clay est revenu à LA pour le scénario du roman de ses vingt ans. C’est Noël dans un LA peuplé de fantômes et d’hallucinations. C’est Noël et  Clay est presque sincère quand il dit vouloir donner sa chance à Rain. Clay n’est pas un mauvais bougre, surtout à Noël.Oui, c’est Noël et la fête bat son plein. Pas facile à la quarantaine bien tapée de se replonger:

« sur les filles en string et talons haut qui traînent du côté du jacuzzi, sur les sculptures mangas dans tous les coins, sur une mosaïque de jeunesse, sur un endroit où vous n’avez plus vraiment votre place. » (p.31)

Si  Clay a engagé Rain comme partenaire sexuelle, c’est pour mieux plonger  dans la psychopathologie de la vie quotidienne de LA.

Clay, le protagoniste de « Moins que zéro », véritable sujet de clinique borderline, systématise, avec Rain, les scènes de ménage, comme mode de relation.

Au delà du folklore de LA, la scène de ménage est analysée par l’auteur comme un objet d’étude pour tous ceux qui s’intéressent aux limites à l’intérieur d’un couple. Dans la scène de ménage de Bret Easton Ellis, il ya toujours une forte dramatisation voulue par l’homme :

« – Hé, le dingue, arrête de transformer ça en drame » (p.90) répète Rain toujours très lucide. 

Oui, le dingue peut faire tourner les évènements au drame. Une vidéo circule. Celle où il tabasse une actrice enceinte de lui.  « Celle à qui ton avocat pourri a filé du fric pour qu’elle se taise. Il y a deux ans. » (p.193)  Trent, autre prédateur et mari de Blair le lui rappelle..

Les transgressions de Clay, comme celles des autres types,  jouent sur les zones de fêlure de chaque membre du couple. Des transgressions exubérantes se positionnant du côté de la folie de vivre.

Oui, il s’agit de types en fonctionnement limite. Leur excitation mêle la peur et l’attirance, le plaisir et la souffrance. Et si ce fonctionnement limite présenté dans Suites Impériales était potentiellement présent en chacun de nous ?

N’empêche, les transgressions valent leur pesant de chaise électrique dans cette Amérique puritaine, lorsqu’il est question d’ébats autour d’un crane :

« Et puis le garçon s’est mis alternativement à me baiser et à baiser la fille et je fourrais mes doigts dans le garçon, pour le stimuler, et le crâne humain, dans le sac en plastique était un accessoire… je forçais la fille à embrasser le crâne et ses yeux étaient en transe et elle me dévisageait comme si je n’avais pas existé et pui je disais a garçon de frapper la fille et je le regardais la jeter par terre et puis je lui disais de recommencer. » (p.212)

Fait aggravant, Clay  n’échappe toujours pas  à son milieu, celui de Moins que zéro.

Vingt-cinq ans après, dans Suites Impériales, Clay, non seulement s’y est enfoncé, mais en plus il est devenu un vampire, un robot programmé à faire du fric. Un robot qui flotte, comme la  jet set, en ce début de vingt et unième siècle dans  LA :

Paquets de cocaïne, xanax, viagra, alcool,  coach de gym,  salon de bronzage,  fêtes,  orgies,  agences d’escorte, crimes,  pleurs chez le psychothérapeute. :

«  C’est un monde où se défoncer est la seule option » (p.90)

Un robot qui doute, pris dans un dilemme : être le salaud qu’il s’efforce d’être et l’enfant qu’il a été. Alors Clay vit toujours enfermé dans

«  la peur, la grosse tache noire de la peur. »(p118) Pire, il a peur du silence. «  Silence qui noie absolument tout et donne des intentons menaçantes même aux silhouettes les plus innocentes, alors qu’elles rôdent lentement et prudemment au loin… » (p.115)

Il a l’oreille vissée à son iPhone ou les yeux rivés aux sms et e-mails qui lui annoncent : « Je t’ai à l’œil ».

Les messages affluent, générant toujours plus d’angoisse. Les messages, un peu comme une voix off, sont l’écho de ses craintes.

Qui le suit et sait en permanence ce qu’il fait ? Sa conscience ? L’œil de la tombe qui regarde Caïn ? Son ange gardien ? Lui-même ?

Seules les photos de nu,  que Rain  lui envoie, le sortent de l’angoisse :

« (sur un balcon, les jambes écartées, un portable dans une main et une cigarette éteinte dans l’autre, debout près d’un matelas couvert d’un drap bleu dans une chambre anonyme, les doigts déployés sur le bas de son abdomen) » (p.64)

Les photos ne suffisent plus quand il se rend compte que l’on a déplacé des bocaux dans son frigo. Il est d’autant plus inquiet « qu’il manque un coca light » (p.49) et que sa couette a une odeur différente. Mais qui peut bien le persécuter, à part sa pauvre tête ?

Son cynisme manqué le rend original et, entraîne un vif intérêt chez des amis de vingt ans, qui le regardent comme un spécimen psychiatrique :

«  Est-ce que tu ne jouirais pas du fait que, vu la façon dont tu manigances les choses, elles ne t’aimeront jamais ? » (p.172)

Comme Clay, les amis n’ont ni changé, ni pris leur revanche sur la vie. Se sont des fantômes, continuant à foncer comme des fous pour réussir. Alors, ils ont une certaine admiration pour les talents manipulateurs de Clay :

« Quelqu’un ne te rend pas ton amour et ne te le rendra jamais. En tout cas, pas comme tu  voudrais qu’elles le fassent et pourtant tu peux quand même les contrôler un certain temps, à cause des choses qu’elles veulent obtenir de toi. C’est un sacré système que tu as mis en place et fait durer. » (p.172)

Oui, Clay est un manipulateur. Il ne cesse d’installer entre lui et les femmes, une relation d’interdépendance sadomasochiste. Il cherche continuellement à contrôler, tout en se plaçant dans une position de soumission devant les femmes.

Les femmes, elles,  sont tout autres. Elles déjouent les pièges en finesse. Elles vivent normalement. Elles sont directes : « Si tu m’obtiens ce rôle, je ferai tout ce que tu veux » (p.129) déclare franchement Rain à Clay. Il leur arrive même de mourir. Normal, tous les types du livre ont une mentalité d’endeuillés. Dans leurs rêves, ne communiquent-t-ils pas comme Clay avec les morts ?

Ces types tuent et ressuscitent symboliquement celles qu’ils aiment.

Clay est effondré après la mort de son amie Amanda. La véritable mort le prive de la capacité de mettre en œuvre cette disparition. Ce qui lui importe, ce n’est pas du tout le meurtre, mais la possibilité d’un meurtre.

Clay, l’endeuillé, à partir du trou de l’absence va vivre une intense activité hallucinatoire,  Les femmes, elles, montent des turbins aux mecs, mais restent lucides sur elles mêmes. Ne pas se tromper sur soi-même, c’est ça leur intelligence. En plus elles ont de la volonté et de la vitalité, comme Rain.

Elle est plus maline que les mecs, Rain, même si ces salauds croient la boire comme à la source d’une cure de jouvence. Les mecs sont des vampires qui boivent le sang de femmes, plus innocentes qu’il n’y parait.

L’intelligence, c’est aussi Blair, la première dans la longue liste de Clay. C’est elle qui fait avancer l’intrigue du livre, alors que Clay se contente de revivre fantasmatiquement ses ébats sexuels avec elle :

« Et j’ai donc recréé dans ma tête, heure par heure, les séances de sexe qui ont eu lieu dans la chambre pendant ces huit jours passé avec elle » (p.91)

La sensibilité, entre tous les personnages, c’est surtout Clay.

Sensibilité et aussi lucidité. Forme d’intelligence. Il a compris que, faute de s’aimer soi-même, il ne peut aimer les autres.

Il connaît les origines de sa peur :

« Je n’ai jamais aimé personne et j’ai peur des gens » (p.228)

Bret Easton Ellis Suite(s) Impériale(s)

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